Appréhender la santé de façon collective et pluridisciplinaire

La pandémie de Covid-19 met la santé publique au cœur de l’actualité. A l’université de Bordeaux, l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (ISPED) est un acteur majeur de la formation dans ce domaine en France, dont la notoriété est reconnue au plan international. Eclairage sur les enjeux et les formations spécifiques de cette discipline avec Simone Mathoulin-Pélissier, directrice de l’ISPED, professeure d’épidémiologie et de santé publique.

  • 13/10/2020

Institut de Santé publique, d’épidémiologie et de développement (ISPED) Institut de Santé publique, d’épidémiologie et de développement (ISPED)

Qu’est-ce que la santé publique exactement ? Quels sont les champs d’action de cette discipline distincte de la médecine ?

La santé publique agit pour améliorer, promouvoir et restaurer la santé à l’échelle de la population. Elle s’appuie sur un raisonnement collectif et pluridisciplinaire. Les professionnels de la santé publique tentent de répondre aux grands enjeux sociétaux et de santé des populations ; il s’agit de déterminer les facteurs qui causent les maladies (dont les épidémies) et les moyens de les prévenir. Pourquoi est-on malade ? Comment faire pour ne pas l’être ? Quelles sont les populations les plus fragiles ? Comment améliorer la santé en général ou diminuer les incapacités ? Quelles actions proposer ? Comment les mettre en œuvre, les évaluer ? 

Pour répondre à ces questions, la santé publique mobilise de nombreuses disciplines comme l’épidémiologie, la biostatistique, l’informatique, le management-gestion des organisations de santé, l’économie, les sciences humaines et sociales... que nous enseignons à l’ISPED. Notre master de santé publique compte plus de 10 parcours spécialisés correspondant aux besoins des différents acteurs du monde professionnel dans le champ sanitaire au sens large ou dans la recherche.

Quelles sont les particularités de l’ISPED ?

L’ISPED a une identité propre. L’université de Bordeaux est le seul établissement en France à avoir créé en 1997 une école de santé publique en France qui soit distincte de la faculté de médecine. C’était assez visionnaire ! L’ouverture à l’international de cet Institut, particulièrement aux pays en développement et au continent africain est également remarquable. Nos parcours de formations (initiale ou tout au long de la vie) sont proposés selon des modalités d’enseignement en présentiel et à distance. En effet, un quart de nos étudiants sont internationaux (dont 75% du continent africain) certains ne pouvant pas se déplacer à Bordeaux, nous avons très tôt mis en place le e-learning. Nous avons quelques longueurs d’avance…

Chaque année, l’ISPED forme près de 1000 étudiants aux différents métiers des spécialités de la santé publique: prévention et promotion de la santé, éducation à la santé, santé au travail et santé environnementale,  santé internationale, informatique médicale, management des organisations de santé…en plus bien sûr de l’épidémiologie et de la biostatistique.

Nos formations sont reconnues et de qualité car elles sont aussi étroitement liées avec le centre Bordeaux Population Health (BPH), centre de recherche en santé publique. Beaucoup d’enseignants y sont également chercheurs et nos étudiants peuvent y réaliser leurs stages de masters et de doctorat. L’ISPED est également en lien avec les acteurs du monde sanitaire et médicosocial ainsi qu’avec divers partenaires régionaux et nationaux. 

Nous contribuons par le transfert des connaissances, le débat entre acteurs de la formation, de la recherche, de l’action et de la décision à éclairer les politiques publiques de santé. Nous avons ainsi eu un séminaire avec l’ARS Nouvelle Aquitaine au sujet de la Covid-19 pour échanger les savoirs et développer des actions. Enfin, notre volonté est de certifier nos formations à l’international et nous avons engagé avec l’appui de l’Idex, une démarche en ce sens pour notre master selon le modèle des écoles de santé publique américaines.

Quels sont les retentissements de l’épidémie de Covid -19 sur l’ISPED ?

Nous avons vu les demandes d’inscription en master 1 Santé publique augmenter : elles sont passées de 700 à 1000. Quant au télé enseignement, nous étions prêts, car si « l’effet Covid » met le distanciel au goût du jour, à l’ISPED cela fait 20 ans que nous enseignons à distance ! Actuellement près de 600 personnes suivent nos DU à travers le monde. 

Un autre fait a été révélateur de l’importance des besoins en la matière: pendant le confinement, les étudiants du parcours « management des organisations de santé » qui étaient en stage en Ephad ont été pour certains recrutés en CDD, tant ces établissements étaient en demande de personnels formés à la santé publique !  Et notre MOOC « Enquêter sur la santé » développé depuis 4 ans a eu un succès sans précédent.

Enfin, et compte tenu de l’importance de la prévention aujourd’hui, un nouveau DU Prévention-Promotion de la santé est ouvert depuis début octobre afin de former les professionnels sur le terrain ……très utile pour la crise actuelle. Ce DU a été une volonté forte de Santé Publique France qui finance une chaire d’enseignement à l’ISPED.

Plus globalement, quels enseignements tirez-vous de cette crise sanitaire ? 

La France comme d’autres pays a eu plusieurs étapes de transition épidémiologique. Pour rappel, autrefois, on subissait les maladies infectieuses liées à des défauts d’hygiène, à différents virus, souvent chez des populations jeunes. Ensuite ce sont les maladies chroniques (maladies de longue durée comme les cancers, la maladie d’Alzheimer, les maladies cardiovasculaires, etc…) qui ont été préoccupantes mais aussi des maladies que certains appellent « de société » liées au tabac, à l’alcool ou encore les accidents de voiture. Et depuis 8 mois, avec la Covid- 19, c’est à nouveau une crise de type infectieuse à laquelle nous devons faire face dans l’urgence mais aussi sur la durée et en ayant la nécessité de prendre en compte des personnes fragilisées...

En santé publique l’incertitude est une notion à appréhender et il faut accepter en permanence de remettre à jour nos connaissances ; elles évoluent en fonction du « terrain »et les solutions doivent s’adapter à ces informations. Ainsi, la prise en compte du contexte est essentielle dans la gestion de cette crise sanitaire: les déterminants sociaux, la précarité, la surpopulation, les conditions de vie, l’environnement… Par conséquent la situation globale en Chine ou en Amérique n’est pas exactement la même qu’en Europe…. Par ailleurs, la crise actuelle a mis en lumière l’intérêt de généraliser l’approche de santé globale et pour certains de One Health (« une seule santé »), qui affirme l’interdépendance des santés animale, humaine et des écosystèmes et promeut une démarche collaborative et transdisciplinaire.

Mais pour le moment, nous devons nous préparer à vivre avec ce virus probablement encore une année voire plus…. Aujourd’hui, l’urgence est d’anticiper au mieux pour éviter une surcharge des services hospitaliers; pour cela, la santé publique et la prévention ont plus que jamais un rôle prépondérant à jouer : il faut tester, tracer, isoler certes mais aussi informer et aider, soutenir et continuer de mieux comprendre l’histoire naturelle de cette maladie. Il faut aussi préparer demain en particulier l’arrivée espérée de(s) vaccin(s) ou de(s) traitement(s) curatif(s) et penser à l’organisation, l’information, l’acceptabilité des personnes et de la population. Cette pandémie sera bien sûr une source d’illustrations de nos enseignements car nous souhaitons toujours être ancré dans la réalité des besoins en santé publique.

Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement

L’Isped est la première école de santé publique en France, distincte de la faculté de médecine. Créé en 1997, l’institut a pour objectif de contribuer à relever les grands défis posés par la santé publique contemporaine : l’accroissement de l’espérance de vie, la refonte des systèmes de santé, la résurgence des maladies infectieuses dans le monde, l’impact de l’industrialisation et de la mondialisation sur l’environnement et la santé des populations. L’ISPEDInstitut de Santé Publique, d'Épidémiologie et de Développement est historiquement lié au centre de recherche « Bordeaux Population Health »

L’ISPEDInstitut de Santé Publique, d'Épidémiologie et de Développement en chiffres

  • 34 diplômes (21 DU, 2 parcours de M1 et 11 parcours de M2) + 1 MOOC + 1 école d’été
  • près de 1000 apprenants / an  (2/3 en formation continue) dont plus de 300 en parcours de masters
  • 76 enseignants et enseignants chercheurs, chargés d’enseignement et 30 personnels BIATSS

A noter : la directrice précédente, Geneviève Chêne, est aujourd’hui directrice de Santé publique France. Le fondateur, Roger Salamon, est l’ancien président du Haut Conseil de la santé publique.

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Simone Mathoulin Pélissier

Simone Mathoulin-Pélissier, directrice de l’ISPED, professeure d’épidémiologie et de santé publique.