Clouer Helicobacter pylori au pilori ?

La bactérie est appelée à la barre : témoin formidable des migrations des populations mais redoutable accusée du cancer de l’estomac. Francis Mégraud, enseignant-chercheur à l’université en explique les enjeux à l'occasion d’une découverte publiée dans Science.

  • 28/01/2016

La bactérie Helicobacter pylori. La bactérie Helicobacter pylori.

Quel est le lien entre Ötzi, homme de glace momifié vieux de 5300 ans découvert à la frontière italo-autrichienne en 1991, le cancer de l’estomac et un centre national de référence sur les bactéries à Bordeaux ? Un seul… qui répond au petit nom d’Helicobacter pylori. Une bactérie de forme hélicoïdale vivant dans la paroi de l’estomac et inféodée à l’homme.

Si elle ne fut réellement découverte et identifiée que récemment - en 1982 car jusque là les chercheurs pensaient impossible qu’une bactérie puisse vivre dans un milieu aussi acide que celui de l’estomac – Helicobacter pylori n’en est pas moins présente chez la moitié de la population humaine. « On part même du postulat qu’elle était présente chez quasiment toute la population jusqu’au XIXe siècle et déjà à l’époque d’Ötzi » explique Francis Mégraud, professeur à l’université de Bordeaux et directeur du Centre national de référence* des Campylobacters et Hélicobacters. L’amélioration des conditions d’hygiène et l’usage des antibiotiques ont réduit sa présence actuelle, du moins en Europe.

Le corps momifié d'Ötzi, vieux de 5300 ans © South tyrol of archeology /Eurac/ Marco Samadelli / Gregor Staschitz

Dis moi quelle bactérie tu as, et je te dirai d’où tu viens

Helicobacter pylori existe sous forme de différents groupes (dits phylogéographiques) distribués dans différentes populations du monde, et présentant quelques différences génétiques mineures identifiables. Et si on étudiait ces différences génétiques pour comprendre les mouvements des populations humaines au cours des âges ? C’est l’idée d’un chercheur allemand Mark Achtman, qui a fait l’objet d’une publication de Science en 2003 à laquelle a participé Francis Mégraud. En effet, le centre qu’il dirige possède une collection importante de souches d’Helicobacter pylori provenant de différents pays et continents isolées depuis 1984 et provenant de diverses pathologies. Une véritable expertise donc !
D’ailleurs l’an dernier, il a aussi signé avec des chercheurs de son laboratoire Infection à helicobacter, inflammation et cancer*, notamment Filippa F. Vale et Philippe Lehours, une publication dans Scientific reports démontrant la possibilité de distinguer les bactéries issues de populations du nord et du sud de l’Europe.

Et quand pour les 20 ans de la découverte d’Ötzi, la décision est prise de le décongeler pour faire de nouvelles analyses, Francis Mégraud est présent au musée archéologique de Bolzano en Italie où est conservé le corps momifié. « Il y avait différents groupes, ceux pour le cerveau, le tube digestif… On avait exactement 30 minutes pour faire l’opération : une incision abdominale. On a recueilli un peu de paroi d’estomac, du contenu gastrique et intestinal. ». La bactérie est bien là, malheureusement à l’époque (2010), le séquençage (décryptage) de l’ADN n’est pas assez évolué pour une analyse complète, concède le chercheur.

L'opération d'Ötzi en 2010 © Francis Mégraud

Mais des confrères autrichiens ont réussi à la faire récemment. Leurs résultats surprenants publiés dans Science début janvier : la souche a un profil asiatique alors que les bactéries actuelles des Européens sont hybrides entre le groupe des souches africaines et le groupe des souches asiatiques. Difficile toutefois de tirer des conclusions générales à partir de ce cas unique, même s’il est très intéressant du fait d’un très bon état de conservation de la momie, précise le chercheur bordelais. Ce résultat peut laisser penser que les migrations de populations venues de l’est seraient intervenues moins tardivement que ce que les chercheurs imaginaient jusqu’à présent. Affaire à suivre.

« Une infection pédiatrique aux conséquences gériatriques »

Mais Francis Mégraud n’en a pas pour autant fini avec Helicobacter pylori, qui est au cœur d’une problématique de santé publique. En effet, si la bactérie est asymptomatique dans la majorité des cas une grande partie de la vie, 10% des personnes infectées développeront un ulcère et 1% un cancer de l’estomac, dont les chances de survie ne dépassent pas 20% des cas à 5 ans. Le chercheur explique qu’on est infecté très tôt par cette bactérie, avec laquelle on peut vivre des années. Les ulcères et cancers se développant tard, il parle donc d’ « une infection pédiatrique aux conséquences gériatriques». La question se pose alors de savoir si l’on doit prévenir le cancer gastrique en éradiquant la bactérie. En effet, avant un point de non retour où les muqueuses gastriques sont trop atteintes, il « suffit » de 15 jours d’antibiotiques pour tuer la bactérie qui se détecte simplement par des tests sérologiques. Doit-on détecter cette bactérie dans toute la population comme pour le dépistage du cancer colorectal, et lui faire subir un traitement antibiotique préventif mais susceptible d’entraîner d’autres conséquences sur le corps. Le débat est en cours.

*Créé en 1993, ce centre bordelais a pour mission la surveillance des infections liées à ces bactéries en France.
*Fusionné depuis en Bordeaux research in translational oncology (Bariton, unité InsermInstitut national de la santé et de la recherche médicale et université de Bordeaux) avec deux autres laboratoires bordelais 

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