Francesco d’Errico, Homo prehistoricus

Le chercheur d’origine italienne de PACEA a reçu la médaille d’argent du CNRS, vendredi 12 septembre sur le campus de l’université de Bordeaux. L’occasion de retracer le parcours de ce globe-trotter de la science.

  • 18/09/2014

Francesco d'Errico © Olivier Got Francesco d'Errico © Olivier Got

1964, région des Pouilles, sud-est de l’Italie. Alors que dans la baie d’Uluzzo des préhistoriens découvrent la grotta del Cavallo, importante dans la compréhension de l’arrivée des hommes modernes en Europe, à quelques pas de là, Francesco d’Errico, du haut de ses 7 ans, cherche des silex dans cette région riche en vestiges du Paléolithique.
Octobre 1984, université Paris 6. Le jeune étudiant commence, dans un français encore approximatif, un DEA en préhistoire après un master en archéologie et anthropologie à l’université de Turin, même s’il avait hésité un temps à embrasser la carrière de journaliste du fait d’un goût prononcé pour l’écriture.
1994, campus de l’université de Bordeaux. Tout droit venu de Cambridge avec son épouse Maria Fernanda Sanchez Goni, le jeune chercheur entre au CNRS au sein du laboratoire PACEA*.
26 juin 2014, Rome. Francesco d’Errico se voit remettre le prix international Fabio-Frassetto, attribué par l’Accademia Nazionale dei Lincei, plus ancienne académie scientifique d’Europe, pour l’ensemble de ses travaux par Giorgio Napolitano, président de la République italienne.
12 septembre 2014, campus de Bordeaux-Victoire. Le préhistorien reçoit la médaille d’argent du CNRS.

Entretemps, ce « globe-trotter de la science » comme l’a surnommé vendredi dernier Stéphanie Thiébault, directrice de l’Institut écologie et environnement du CNRS, aura participé à une cinquantaine de missions, traversé 17 pays, de la Chine au Bostwana, du Maroc aux États-Unis, des Pays-Bas à l’Afrique du Sud, collaboré à quelque 280 communications et publiés 260 articles dont le dernier dans PNAS est daté du 2 septembre.

Fervent défenseur de l’homme de Néandertal

Cette publication identifie une gravure réalisée sur la paroi d’une grotte par les Néandertaliens et avance que ces derniers possédaient une culture matérielle symbolique, jusque là considérée comme un trait caractéristique des hommes modernes. Ce sont notamment ces recherches qui ont fait dire à Bruno Maureille, directeur de PACEA au cours de la cérémonie que « Néandertal te doit une fière chandelle. Il a trouvé en toi un grand avocat » et Dominique Sacchi, directeur de recherche émérite, de parler « d’obstination et de grande force de conviction » pour ce « procès en réhabilitation » d’Homo neanderthalensis. D’ailleurs Francesco d’Errico admet lui-même que « si on accepte ce que certains anthropologues voudraient nous faire croire, que Néandertal était par définition stupide, alors on a plus besoin d’étudier les vestiges qu’ils nous ont laissé et on a plus besoin d’archéologues. Mon impression est plutôt que certaines populations dites modernes étaient parfois aussi "stupides" que Néandertal et vice et versa. Ce qui est important est de reconstituer les trajectoires culturelles de ces différentes populations au cours du temps, sans leur coller des étiquettes à priori ». 

D. Sacchi, B. Maureille, Y. Lung, F. d'Errico, C. Giraud et S. Thiébault © Olivier Got

Son domaine de recherche concerne donc l’étude des hominés fossiles (Néandertal, Homo erectus, Australopithèques etc.) et des premiers hommes modernes au travers leurs représentations symboliques (gravures, parures, utilisation de pigment…), leurs comportements techniques (utilisation d’outils) et leur relation à l’environnement. Pour cela, il utilise les techniques les plus modernes, en microscopie, imagerie 3D et datation, comme les plus anciennes : refaire les mêmes gestes qu’il y a plusieurs milliers d’années avec des outils similaires pour vérifier, par exemple, qu’une gravure sur une pierre est bien la conséquence d’un projet graphique et non un acte utilitaire comme couper la peau ou la viande. « Chercheur est un travail d’artisan » explique ce passionné de voile à ses quelques heures perdues. Il étudie également des populations actuelles dans un intérêt ethno-archéologique. Il a participé à une recherche chez les populations Himba de Namibie, et leur utilisation de l’ocre qui reste ancestrale. Ces travaux font l’objet d’un documentaire qu’il a co-réalisé : La couleur des Ovahimba**.

Le lieu d’étude de prédilection de ce globe-trotteur passionné, mais finalement assez stressé de voyager de peur d’oublier ou endommager du matériel et de ne pas pouvoir revenir avec les bonnes données, est le site de Blombos Cave en Afrique du Sud. « L’environnement est fantastique, et le lieu appartient à la personne qui y mène des fouilles, Christopher Henshilwood, passé de businessman à professeur d’université en archéologie. Au cœur d’une réserve naturelle, face à l’océan, dans un environnement totalement intouché, nous avons trouvé dans cette grotte un pot à peinture datant de 100 000 ans, des perles de 75 à 80 000 parmi les plus anciennes découvertes jusqu’à présent. Ces fouilles ont contribué à changer notre vision de l’apparition du symbolisme ».

 

Légende photo (de gauche à droite) : Dominique Sacchi, Bruno Maureille, Yannick Lung, Francesco d'Errico, Christophe Giraud et Stéphanie Thiébault.
* De la préhistoire à l’actuel : culture, environnement, anthropologie (unité mixte de recherche université de Bordeaux, CNRSCentre national de la recherche scientifique , ministère de la culture et de la communication)
**Co-réalisé avec Loïc Quentin. Production CERIMES – université de Bordeaux.

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