Gauche ou droite, une histoire d’hémisphère

« Dis moi de quelle main tu écris et je te dirais où se situe le langage dans ton cerveau ». C’était presque l’adage qui prévalait dans le milieu scientifique jusqu’à la publication dans Plos One, la semaine dernière, de chercheurs bordelais du Groupe d’imagerie neurofonctionnelle. Ils remettent en cause l’existence d’un hémisphère dominant à la fois pour le langage et la préférence manuelle.

  • 09/07/2014

Carte de probabilité des régions cérébrales activées en imagerie chez 114 droitiers. © B. Mazoyer Carte de probabilité des régions cérébrales activées en imagerie chez 114 droitiers. © B. Mazoyer

Le cerveau humain est influencé par la droite et par la gauche. Non pas de façon politique (quoique !) mais d'un point de vue hémisphérique. Bien que d’apparence symétrique, le cerveau est en fait un peu tordu. Cette torsion entraîne l’hémisphère droit un peu plus en avant et l’hémisphère gauche un peu plus en arrière. Il n’y a pas qu’au niveau anatomique qu’on trouve des asymétries, mais au niveau fonctionnel également. On parle de latéralisation : l’hémisphère droit ne remplit donc pas les mêmes fonctions que l’hémisphère gauche. C’est le cas pour la préférence manuelle qui est un comportement moteur dit croisé. Pour les droitiers, c’est-à-dire 90% de la population, il est géré par l’hémisphère gauche, et inversement chez les gauchers.

De nombreuses études ont montré que l’hémisphère gauche, comme le comportement moteur est dominant pour le langage dans 90 % des cas. Il était alors simple de conclure à l’existence d’un hémisphère dominant gauche chez les droitiers et un hémisphère droit dominant chez les gauchers.  

Ce dogme n’avait jamais réellement mis en cause avant la publication dansPlos One de Bernard Mazoyer, professeur des universités et praticien hospitalier, et de l’équipe du Groupe d’imagerie neurofonctionnelle* (Gin) qu’il dirige. Leur étude a révélé trois types de latéralisation pour le langage : dans le cas « typique », l’hémisphère gauche est dominant pour le langage, ce qui a été observé chez 88% des droitiers et 78% des gauchers. Dans le cas dit « ambilatéral », aucun des deux hémisphères n’est clairement dominant (12% des droitiers et 15 % des gauchers) et dans le cas « très atypique » c’est l’hémisphère droit qui est dominant (7% des gauchers uniquement).

Christophe Mazoyer © C. Goussard

Première conclusion pour Bernard Mazoyer, si on oublie les très rares cas des sujets « très atypiques » (moins de 1% de la population), la concordance entre hémisphère pour la main préférée et hémisphère dominant pour le langage est au niveau de ce que prédit le simple hasard. Et deuxième chose, il n’ y a que chez les sujets très atypiques que cette concordance ne semble pas due au hasard, tous les sujets ayant un hémisphère droit dominant pour le langage étant tous gauchers.

Bil & Gin donne le tempo

«C’est l’inverse de tout ce qu’on pensait jusqu’à présent. Même dans l’équipe, on n’avait trouvé à peu près trouvé les mêmes résultats que Geschwind et Levitsky et on l’avait publié en 1991 » explique-t-il. Mais les études comportaient une limite, elles prenaient en compte beaucoup plus de droitiers que de gauchers. Sous l’impulsion d’un membre du Gin, Nathalie Tzourio-Mazoyer, directeur de recherche CEA, l’équipe a décidé de reprendre les études sur l’asymétrie anatomique et fonctionnelle du cerveau. Ainsi est née la base de données assez innovante Bil & Gin** (Brain imaging of lateralization) constituée d’un groupe de 453 participants, étudié entre 2009 et 2011, avec autant d’hommes que de femmes, autant de gauchers que de droitiers… En l’espace d’un an, ils vont leur faire passer différents tests psychométriques (vitesse de frappe digitale à gauche et à droite, détection de rimes, vitesse de lecture, rotation mentale, bissection de ligne où le participant doit évaluer la position d’un trait par rapport au milieu d’un segment…), une IRM du cerveau permettant d’avoir la morphologie du cortex et des grands faisceaux de fibres, et pour 300 d’entre eux une IRM fonctionnelle. C’est-à-dire que l’examen est fait alors que les participants sont en train d’effectuer 16 tâches cognitives, certaines liées au langage (comme lire, écouter ou réciter une liste de mots, imaginer une phrase d’après un dessin), d’autres de nature visuo-spatiale ou numérique.

Des prélèvements de salive ont également été faits, à partir desquels un échantillon d’ADN de chaque sujet a été extrait. Cet ADN va maintenant être analysé au vu des résultats publiés par Bernard Mazoyer, celui notamment des gauchers très atypiques. L’objectif est de voir s’il existe des variations génétiques rares caractéristiques de ce petit groupe de sujets et qui seraient susceptibles d’expliquer leur latéralisation droite pour le langage. A terme, en comprenant mieux ces phénomènes de latéralisation, notamment dans le langage, on espère mieux appréhender certaines pathologies où existent des anomalies de la latéralisation du langage comme la schizophrénie, notamment. Les chercheurs du Gin poursuivent activement l’analyse de la base de données Bil & Gin, qui  n’a pas encore livré tous ses secrets sur les asymétries du cerveau humain.

* unité mixte de recherche : université de Bordeaux, CEA et CNRSCentre national de la recherche scientifique
** prononcez « Billy Jean »

Thèmes :

Références

Gaussian mixture modeling of hemispheric lateralization for language in a large sample of healthy individuals balanced for handedness. Bernard Mazoyer, Laure Zago, Gaël Jobard, Fabrice Crivello, Marc Joliot, Guy Perchey, Emmanuel Mellet, Laurent Petit, Nathalie Tzourio-Mazoyer.