L'étonnante modernité de Néandertal
Découvertes dans une grotte du Sud de la France, d’étranges structures faites de stalagmites brisées viennent d’être datées : elles sont vieilles d’environ 176 500 ans. Le site recèle donc des constructions humaines figurant parmi les plus anciennes connues. Elles ont été bâties par les Hommes de Néandertal, et apportent la preuve de leur excellente maîtrise du feu, et de leur capacité à s’organiser et à édifier dans l’obscurité. L’étude, réalisée par des chercheurs français et belges, paraît cette semaine dans Nature.
- 25/05/2016
Prise de mesures pour l’étude archéo-magnétique dans la grotte de Bruniquel © Etienne FABRE – SSAC
La grotte de Bruniquel (Tarn-et-Garonne), dans les gorges de l’Aveyron, a été découverte en 1990 par un groupe de spéléologues. Dans une des grandes salles, située à environ 330 mètres de l'entrée, ils ont trouvé deux étranges structures faites de stalagmites brisées et agencées en formations circulaires (30 m2 pour la plus grande). Ces structures, ainsi que quatre accumulations plus petites, contiennent toutes des traces de feu et des morceaux d'os brûlés.
Dès 1995, une première équipe de chercheurs détermine l’âge d’un des os retrouvés à l’aide du carbone 14. Il est estimé à au moins 47 600 ans, à la limite de la technique de datation. En 2013, le professeur Jacques Jaubert l’université de Bordeaux rattaché au laboratoire Pacea (de la Préhistoire à l'actuel : culture, environnement, anthropologie, unité mixte CNRS, Ministère de la culture et de la communication et université de Bordeaux), Dominique Genty du CNRS, Sophie Verheyden de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, et le spéléologue Michel Soulier de la Société spéléo-archéologique de Caussade s'intéressent à leur tour aux structures. Ils réalisent un inventaire minutieux de tous les fragments de stalagmites, façonnent un modèle 3D des constructions avec Pascal Mora du laboratoire Archéovision (unité CNRSCentre national de la recherche scientifique , université de Bordeaux Montaigne et université de Bordeaux) pour le relevé en 3D des structures, cartographient l’emplacement des foyers et surtout prélèvent des échantillons pour de nouvelles datations.

Les premiers spéléologues, des Néandertaliens
La méthode de l’uranium-thorium permet aux chercheurs d’utiliser la nature même des constructions, en datant directement les stalagmites qui les constituent. L’âge de la construction se situe entre la fin de croissance des stalagmites utilisées dans les structures et la base des stalagmites qui scellent ces mêmes structures. Cette méthode a permis d’attribuer un âge de mise en place particulièrement précis de 176 500 ans (± 2000 ans), soit bien avant à l’arrivée de l'Homme moderne en Europe, il y a 40 000 ans. Les « bâtisseurs » étaient donc des Néandertaliens anciens. « Ce sont les plus anciennes constructions humaines aussi complexes trouvées sous terre », explique la géologue Sophie Verheyden.
Bruniquel démontre ainsi que les Néandertaliens maîtrisaient déjà le monde souterrain 140 000 ans avant les Hommes modernes de Chauvet ou Lascaux, connus pour leur art pariétal majestueux.

Le concept de « spéléofacts » est proposé pour nommer ces stalagmites brisées et agencées. Les structures circulaires principales de Bruniquel comptent environ 400 de ces spéléofacts, qui, mis bout à bout, totalisent 112 mètres et pèsent plus de 2 tonnes. Les morceaux de stalagmites sont alignés en rangées multiples, judicieusement étançonnées par endroits.
« La structure suggère également que ce groupe de Néandertaliens anciens s'entraidaient et avaient une organisation sociale déjà élaborée, en tout cas plus "moderne" que ce qu'on pensait », explique l'archéologue et préhistorien Jacques Jaubert.

Maîtres du feu
Des traces de feu sont visibles dans les six structures. Il s'agit de traces de suie, d'os brulés et de stalagmites rougies et noircies. Certaines de ces traces ont également pu être datées et sont contemporaines des constructions. Une étude magnétique du site confirme les points de chauffe et l’analyse spectroscopique de la matière organique démontre sa calcination. Jacques Jaubert ajoute : « L'étude démontre que les Néandertaliens maîtrisaient parfaitement le feu : sans lui, ils n’auraient pas pu s’enfoncer aussi loin dans une grotte où il fait complètement, totalement noir. » En 2011, une étude concluait déjà que les Néandertaliens étaient la première espèce humaine à utiliser couramment le feu et ce, certainement à partir de 300 000 ans, quand ils ont commencé à cuire la nourriture.
Les chercheurs précisent que ni l'Homme de Néandertal, ni l’Homme moderne n’ont vécu dans les grottes. Bruniquel pose donc de nouvelles questions: quel était le rôle de tels aménagements souterrains ? Était-ce pour s’y réfugier ou pour y célébrer quelque rite ou culte ? Pour y stocker de l’eau?… Les chercheurs espèrent bien percer ce mystère dans les années à venir.

Excellente conservation
Construites au fond de la grotte de Bruniquel, les structures ont été bien protégées de l'érosion. Après la période des Néandertaliens, l'entrée s'est écroulée et le site a été préservé jusqu’à sa découverte par les spéléologues en 1990.
L'étude, menée par une équipe de scientifiques belges, français, suisses, chinois et américains, vient d'être publiée dans Nature.
- Sources : communiqué de presse de l'Institut royal des sciences naturelles de Belgique
- Pour en savoir plus : lire le communiqué de presse du CNRS et voir la vidéo de CNRS le journal
Néandertal à Bruniquelpar CNRS
Références
Early Neandertal constructions deep in Bruniquel Cave in southwestern France. Jacques Jaubert, Sophie Verheyden, Dominique Genty, Michel Soulier, Hai Cheng, Dominique Blamart, Christian Burlet, Hubert Camus, Serge Delaby, Damien Deldicque, R. Lawrence Edwards, Catherine Ferrier, François Lacrampe-Cuyaubère, François Lévêque, Frédéric Maksud, Pascal Moral, Xavier Muth, Édouard Régnier, Jean-Noël Rouzaud, Frédéric Santos.