LIRYC, atout cœur

Depuis plus de deux ans, le rythme cardiaque de Michel Haïssaguerre s’ajuste à celui de LIRYC, un institut hospitalo-universitaire consacré au cœur électrique, dont il est le directeur. La première pierre du bâtiment, qui accueillera l’année prochaine, une équipe de 150 personnes est l’occasion de faire le point avec le professeur de cardiologie de l’université de Bordeaux.

  • 12/02/2014

Michel Haïssaguerre © Got.O - Université de Bordeaux Michel Haïssaguerre © Got.O - Université de Bordeaux

Quelles sont les thématiques de cet Institut hospitalo-universitaire (IHU) LIRYC ?

L’Institut de RYthmologie et de modélisation Cardiaque (LIRYC) concentre ses activités sur la vague électrique qui parcourt le cœur. Imaginez un éclair électrique qui active le cœur, cellule par cellule, avant de le faire battre. Si ce flux est défaillant, la mécanique du cœur va être défaillante. Cela peut conduire à des fibrillations auriculaires (trouble du rythme cardiaque) à l’origine d’accident vasculaire cérébral (AVC), à une altération irréversible de la pompe cardiaque…

Une autre conséquence importante, sur laquelle nous travaillons depuis 20 ans, est ce qu’on appelle la mort subite, qui touche 300 000 personnes en Europe par an (1 mort sur 8). C’est une tornade électrique (comme un coup de révolver), qui en quelques secondes va « faire disparaître » l’individu de façon presque surnaturelle. Elle est paradoxalement considérée comme une mort naturelle, alors même que la moitié des individus sont jeunes. Et comme il s’agit d’un phénomène ponctuel et que le sujet passe de vie à trépas en quelques secondes, il n’y a pas de malades ! Et donc moins de pression et d’investissement de recherche que sur d’autres maladies. Ce serait comme trouver le graal de pouvoir identifier les sujets à risque et d’avoir des dispositifs ou médicaments pour détruire et inhiber ces phénomènes dans le cœur.

Pourquoi avoir décidé de monter un projet d’IHU ?

Pour déchiffrer ces énigmes, comme la mort subite, nous développons une dream team avec LIRYC. Nous avions une expertise clinique assez importante à Bordeaux, avec une certaine renommée dans ce domaine à l’origine de prix internationaux. Et lorsque j’ai lu, dans la presse en 2010, l’appel à projet des IHU, je me suis tout de suite dit que c’était pour nous. Cela tombait à point nommé pour traiter les ravages que font ces pathologies liées au cœur électrique. Quand nous avons monté le projet, même au plus haut de l’État, on nous a déconseillé de le présenter devant le jury international au prétexte que nous étions une équipe trop petite. Mais nous avons eu alors un soutien fort de la présidence de l’université. Cet IHU nous permet de démultiplier notre potentiel de recherche clinique, associé à une structure d’expérimentation et à des modélisations et simulations numériques.

On étudie, avec différentes équipes de recherche, depuis les plus petites entités que sont les canaux ioniques jusqu’au cœur entier. Sur la Plateforme Technologique d'Innovation Biomédicale (PTIB), nous bénéficions d’une IRM unique en cardiologie en Europe. On peut y étudier des cœurs entiers avec une résolution à 25 micro-mètres. On voit quasiment la structure ultrafine du cœur !

Quel bilan faites-vous de LIRYC après 2 ans et demi ?

En mai 2013, lors du congrès mondial de la discipline, nous avons eu plus d’une quarantaine de publications acceptées, c'est-à-dire la première place de cette olympiade scientifique. C’est un indicateur de qualité très objectif. L’IHU regroupe différentes disciplines et expertises avec la complémentarité de chacun. Nous sommes actuellement 80 mais à terme, c’est une équipe de 150 personnes qui constituera LIRYC, dans le nouveau bâtiment. Certains de nos collaborateurs sont originaires des États-Unis, du Canada, d’Angleterre, d’Hollande, du Japon… Ils ont quitté leur pays pour rejoindre une structure qui n’a pas d’équivalent dans le monde dans le domaine du cœur électrique.

Mais c’est aussi un projet multi-partenarial avec des dizaines d’industriels. D’ailleurs, à terme c’est-à-dire dans 10 ans, le contrat avec l’État incite à ce que cet IHU s’autofinance grâce à ces partenariats.

Pouvez-vous citer des exemples de recherche sur lesquels vous travaillez actuellement ?

Nous travaillons, par exemple, sur un dispositif permettant de cartographier le cœur à l’aide d’une veste extérieure d’électrodes, donc sans cathéter invasif, et aussi sur la création de nouveaux cathéters ou procédés de chirurgie cardiaque.

Une étude concerne l’identification des fibrillations (battements de cœur irréguliers) les plus graves liées à ces tornades électriques. Si on arrive à comprendre comment s’installent ces tourbillons, qui une fois lancés ne s’arrêtent plus, on pourra alors aller vers une thérapie.

Quels sont, pour vous, les côtés négatifs de ce projet ? Et les positifs ?

Le point négatif est la lourdeur de la gestion. Il est vrai que ce genre de projet multiplie les couches administratives et de management des équipes de recherche du projet, avec un nombre de réunions considérables. Notre esprit est très largement mobilisé par cette activité au lieu de consacrer nos pensées à notre difficile mission de recherche et innovation.

Côté positif, ce que je retiens, c’est que LIRYC est comme une équipe de rugby, tous les modèles et toutes les compétences y sont représentées, dans un esprit convivial. Je me suis même laissé entendre dire que notre IHU était cité en exemple, au niveau national.

Le positif aussi, c’est l’échange entre tous les chercheurs, médecins, biologistes, informaticiens, mathématiciens… Tous nos chercheurs peuvent aller visiter les laboratoires des autres. C’est intéressant un mathématicien qui voit un problème clinique, il le modélise d’une autre façon. Cela permet l’échange d’idées et d’envisager de nouvelles hypothèses.

IHU LIRYC lauréat du programme Investissements d'avenir

L’Institut de RYthmologie et de modélisation Cardiaque (LIRYC) dirigé par le professeur Michel Haïssaguerre et porté conjointement par l’université de Bordeaux et le CHU de Bordeaux, a été lauréat dans le cadre du programme des investissements d’avenir, faisant ainsi partie des 6 instituts hospitalo-universitaire (IHU) retenus à l’échelle nationale (3 à Paris, 1 à Strasbourg, 1 à Marseille et 1 à Bordeaux). Ce projet a obtenu dans le cadre de ce programme une dotation de 45 millions d’euros et a été lancé officiellement le 1er juillet 2011.

Pose de la première pierre

La première pierre du bâtiment LIRYC a été posée lundi 10 février en présence de nombreuses personnalités.