La sécheresse enraye une maladie de la vigne

Des scientifiques du campus bordelais ont découvert que les conditions de sécheresse suppriment l’apparition des symptômes de l’esca, l’une des principales maladies du bois de la vigne causée par un champignon. Leurs résultats, publiés le 21 octobre dans la revue PNAS, sont une avancée majeure dans la compréhension de cette maladie et des interactions complexes avec la plante, le pathogène et le climat.

  • 25/10/2021

© Inrae - Chloé Delmas © Inrae - Chloé Delmas

Depuis une vingtaine d’années, on observe un dépérissement des vignobles à l’échelle globale. Les rendements et la longévité de la vigne diminuent et l’on observe une augmentation de la mortalité des ceps dans les parcelles (par exemple en 2014 on estime que l’ensemble du vignoble français a eu un manque à produire de 3,4 millions d’hectolitres). On estime que le dépérissement, particulièrement les maladies du bois, causent la disparition de 5 % du vignoble tous les ans.

Pendant longtemps la seule cause avancée était les maladies du bois de la vigne, dont l’esca est la principale. Cette maladie, pour laquelle les traitements existants ne permettent pas un contrôle satisfaisant, est causée par des champignons parasites pénétrant dans le bois du cep de vigne. Ces pathogènes provoquent des nécroses et des symptômes caractéristiques au niveau des feuilles qui deviennent tigrées. Pour expliquer les mécanismes d’apparition de cette maladie, un équipe de scientifiques issus de plusieurs laboratoires bordelais* a avancé ces dernières années l’hypothèse de causes multifactorielles liées aux agents pathogènes, à l’évolution du climat, aux pratiques culturales… Pour mieux cerner les raisons et comprendre le mécanisme complexe amenant à ce dépérissement, les scientifiques bordelais se sont intéressés à l’interaction de deux facteurs majeurs du dépérissement de la vigne : l’esca et la sécheresse.

Un dispositif expérimental inédit

Les mécanismes de l’esca de la vigne sont mal connus car c’est une maladie difficile à étudier en conditions de laboratoire. En effet, elle ne touche que les pieds de vigne de plus de 7 ans et n’est observable que sur les parcelles en pleine terre. Pour pouvoir parfaitement contrôler les conditions de sécheresse, les scientifiques ont d’abord développé une méthode de transplantation de pieds de vigne en pot en s’inspirant des méthodes de culture des bonzaïs. Ils ont ainsi transplanté 51 ceps du cépage Sauvignon blanc âgés de 30 ans issus du domaine expérimental Inrae de la Grande Ferrade dans la région de Bordeaux, qui étaient déjà suivis depuis six ans pour l’esca. Puis, durant deux ans ils ont suivi pour la première fois l’apparition des symptômes de l’esca en conditions contrôlées et analysé précisément l’état physiologique des plantes dont la moitié était en condition de sécheresse.

La sécheresse inhibe les symptômes de l’esca

Une des hypothèses avancées pour expliquer l’augmentation du dépérissement des vignes de ces dernières années était une synergie entre les facteurs environnementaux comme l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des sécheresses et les maladies comme l’esca. Cette étude montre le contraire. Aucun pied de vigne en condition de sécheresse, d’une intensité modérée à sévère, n’a montré de symptômes de l’esca sur les feuilles. La sécheresse a inhibé la maladie au cours de chacune des deux saisons étudiées, démontrant le rôle central de l’état hydrique de la vigne dans le développement de l’esca.

Les scientifiques avancent plusieurs hypothèses pour expliquer ce résultat inattendu. Le manque d’eau causé par la sécheresse pourrait directement inhiber l’activité des champignons parasites, ou la sécheresse pourrait aussi avoir des effets sur les réponses de défense de la plante. Une autre hypothèse serait que la forte réduction du transport d’eau dans la plante causée par la sécheresse supprimerait également le transport de molécules toxiques produites par les champignons. Si la sécheresse appliquée a eu un effet positif en supprimant les symptômes de l’esca, il ne faut bien sûr pas oublier que la disponibilité en eau est un des facteurs principaux limitant la productivité et le rendement des cultures.

Cette étude est un apport majeur dans la compréhension de l’esca et de l’influence du climat sur cette maladie de la vigne. Des travaux vont se poursuivre pour mieux comprendre le rôle que joue le climat (pluviométrie, température…) sur l’expression de l’esca à l’échelle nationale. Ils pourraient permettre, à terme, de mieux prédire l’apparition des symptômes de l’esca en surveillant les indices de sécheresse et l’état physiologique des ceps dans les vignobles.

*Ces travaux ont été menés par des scientifiques issus des laboratoires Écophysiologie et génomique fonctionnelle de la vigne (EGFV - Inrae, Bordeaux Sciences Agro et université de Bordeaux, Institut des sciences de la vigne et du vin), Biologie du fruit et pathologie(BFP - Inrae et université de Bordeaux), Santé et agroécologie du vignoble (SAVE - Inrae et Bordeaux Sciences Agro, Institut des sciences de la vigne et du vin) et la Plateforme Bordeaux Metabolome.

Source : communiqué de presse Inrae

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Référence bibliographique

Bortolami G., Gambetta G.A., Cassan C., Dayer S., Farolfi E., Ferrer N., Gibon, Y., Jolivet J., Lecomte P., Delmas C.E.L., Grapevines under drought do not express esca leaf symptoms

Contact scientifique

Chloé Delmas
Chercheuse Inrae au laboratoire SAVE