Naviguer utile pour la science avec Fabrice Amedeo
Élancé dans son 2e Vendée Globe, le skipper français embarque sur son bateau IMOCA Newrest - Art et Fenêtres un dispositif scientifique pour faire avancer la recherche, en partenariat avec l’université de Bordeaux. Interview d’un sportif engagé pour la préservation des océans.
- 17/11/2020
Fabrice Amedeo à bord de son bateau IMOCA Newrest - Art & Fenêtres © Jean-Marie Liot / Newrest – Art & Fenêtres
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager dans ce projet scientifique ?
C’est la convergence entre plusieurs choses. D’une part, la volonté de donner un sens à mon parcours de marin. D’autre part, après avoir couru sur les océans pendant des années, la prise de conscience de la menace globale pour notre planète. Enfin, il y a la question du père que j’ai envie d’être pour mes 3 jeunes filles, car les enfants sont très sensibles à la préservation des océans, aux gestes du quotidien. J’ai donc eu envie de naviguer utilement pour la communauté scientifique, et après m’être renseigné, j’ai installé un premier capteur en septembre 2019 pour relever des données océanographiques. J’ai fait quelques courses avec, c’était passionnant et nous avons rassemblé une équipe scientifique* autour du projet. Puis j’ai voulu aller plus loin en installant un capteur pour prélever des microplastiques. C’est là que s’est développé le partenariat scientifique avec l’université de Bordeaux, au travers des équipes des laboratoires CBMN** et EPOC*** qui, avec leurs collègues de l’Ifremer, étudieront les microplastiques que j’aurai collectés lors de ce Vendée Globe 2020. Bienvenue à bord !

Quels sont les avantages de mener un tel projet en tant que navigateur lors du Vendée Globe ?
Pour les données océanographiques, mon bateau à voile a l’avantage de ne pas créer de pollution thermique. Ces données vont aussi pouvoir être corrélées aux informations très précises du bateau, notamment de vent et de pression atmosphérique, puisque c’est le cœur de notre métier de skipper. De plus, la route du Vendée Globe est assez atypique car nous faisons le tour de l’Antarctique. À l’inverse des missions scientifiques qui se rendent dans des zones très localisées, parfois à des années d’intervalle, mon bateau de course va parcourir trois océans, rapidement, pendant l’hiver 2020-2021. On va donc obtenir une sorte de « radiographie » de l’état de nos océans à une période donnée, ce qui intéresse particulièrement les scientifiques. Enfin, au-delà de la collaboration passionnante avec les chercheurs et le fait d’avoir le sentiment d’être utile, ce projet me donne de l’appui et de la crédibilité pour prendre la parole et essayer de porter un message.

Quels impacts sur la performance sportive d’embarquer un tel dispositif ?
Sur ces bateaux où l’on fait la chasse au poids, cela a un vrai impact car les deux capteurs pèsent 30 kg et l’ensemble des filtres 25 kg. Très énergivores, ils augmentent aussi ma consommation d’énergie d’environ 20%, ce pourquoi nous avons installé une petite éolienne à l’arrière du bateau. Quant au changement des filtres toutes les 24 heures, je m’organise pour le faire le matin après la prise d’information météo. Cela me prend 15 min, ce qui est à la fois peu et beaucoup car nous nous mettons dans de tels états de fatigue et de lassitude mentale et morale à bord… Nous sommes parfois débordés par les événements et cette tâche supplémentaire peut être difficile.
Les manipulations sont-elles simples à réaliser ?
Les manipulations sont très faciles ! Ce qui est plus contraignant et nécessite d’être rigoureux, c’est de bien noter le numéro du filtre, la position du bateau et l’heure du changement du filtre, pour que les scientifiques aient une vision précise du segment de mesure. Il y a aussi une vraie précaution à avoir sur la manipulation pour éviter toute contamination. Le Vendée-Arctique-Les Sables en juillet dernier a permis de tester le dispositif pendant les 10 jours de course et d’apporter des ajustements afin d’être prêt pour le Vendée Globe. J’ai par exemple revu le stockage des filtres à bord, en faisant faire un sac sur mesure pour éviter que les boîtes ne roulent ou s’ouvrent.

Comment articulez-vous ambitions sportives et place accordée au projet scientifique ?
Il y a 33 bateaux au départ dont 12 plus rapides que le mien. J’ambitionne une place dans le top 10. Par rapport aux marins bien plus expérimentés que moi, c’est une autre performance avec quand même l’ambition de faire un résultat. De même que lors de mon 1er Vendée Globe, la partie éditoriale me tient à cœur : je viens de publier un livre, j’embarque du matériel pour faire des photos et des vidéos… Toujours avec cette idée de partager et d’embarquer les gens dans l’aventure. Au-delà de mes projets sportifs, le projet océanographique reste central et je dirais même que dans les moments où l’on a envie d’abandonner – je pense aux mers du Sud, par 0°C, quand il neige sur le pont et qu’il y a 40 nœuds de vent – le fait d’avoir ce projet avec une communauté qui compte sur moi me donnera une force en plus.
Y-a-t-il d’autres skippers qui mènent un projet similaire ?
Le skipper allemand Boris Herrmann a le même capteur océanographique que moi, mais sur la partie microplastiques, je suis le seul. C’est la première fois qu’un skipper en course en solitaire aura ce capteur et fera une campagne de prélèvements. Donc avec l'université de Bordeaux, nous sommes les premiers collectivement à faire cela !
* Les partenaires scientifiques impliqués dans l’étude des données du capteur océanographique sont : l’UNESCO, l’Ifremer, Geomar, JCOMMOPS et l’Institut Max Planck.
**CBMN – Chimie et de biologie des membranes et des nano-objets (CNRS, Bordeaux INP et université de Bordeaux)
***EPOC – Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux (CNRSCentre national de la recherche scientifique , École pratique des hautes études et université de Bordeaux).
Un début de Vendée Globe imprévu
Cette interview ayant été réalisée avant le départ, Fabrice Amedeo a depuis été confronté à une avarie lors des premières heures de course, qui l’a contraint de rentrer aux Sables d’Olonne et de repartir avec deux jours et demi de retard. Une fois le bateau réparé et retrouvant le moral, le skipper déclarait en ligne : « C’est un deuxième départ mais c’est mon départ pour le tour du monde donc je suis très content et je pars avec beaucoup d’envie […] J’ai la motivation d’essayer de rattraper des concurrents avant les mers du Sud. Quoi qu’il arrive j’ai cette motivation supplémentaire d’avoir mes deux capteurs océanographiques qui fonctionnent 24h sur 24. Et j’ai de toute façon la responsabilité de faire ce tour du monde pour la communauté scientifique qui me suit et qui attend beaucoup des données que je vais aller prélever dans les mers du Sud. »
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Contacts scientifiques
Sophie Lecomte
Directrice de recherche au CNRS, experte en spectroscopies vibrationnelles
Jérôme Cachot
Professeur en écotoxicologie aquatique au laboratoire EPOC