Portable et tumeur, quel est le lien ?
Décryptage d’une étude épidémiologique sur les effets des radiofréquences du téléphone sur le cerveau, publiée récemment, et retour sur la surmédiatisation qui a agité le web avec le docteur Gaëlle Coureau.
- 22/05/2014
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« Téléphone portable, une bombe à retardement », « Gros utilisateurs de téléphone, gare aux tumeurs », « 30 minutes de téléphone portable par jour augmentent le risque de tumeur » ou encore « Trop téléphoner favorise l'apparition de tumeurs au cerveau », voici certains titres des quelque 130 articles parus sur le net à peine trois jours après la parution d’une publication scientifique dans Occupational and environmental medicine le 9 mai dernier. Gaëlle Coureau, premier auteur de cet article et médecin épidémiologiste à l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (Isped) sur le campus de l’université de Bordeaux, revient sur cette étude, ses résultats et l’emballement médiatique.
Sur quelles études portaient vos travaux de recherche pour cette publication ?
Des recherches ont déjà été réalisées à l’Isped concernant le rôle des facteurs environnementaux et professionnels, comme les pesticides et les champs électromagnétiques, dans la survenue de tumeurs cérébrales. Ce travail a été réalisé dans le cadre de l’étude CERENAT qui concernait un peu plus de 1800 adultes dans les départements du Calvados, de la Manche, de l’Hérault et de la Gironde entre 2004 et 2006. Cette analyse a porté sur 253 patients atteints de gliomes (tumeurs malignes) et 194 cas de méningiomes (généralement bénignes), recensés via les réseaux des médecins et les registres cancers de chaque département. Afin d’avoir un groupe témoin, pour chaque patient étaient identifiés deux témoins sains de même âge, de même sexe et de même zone géographique, via les listes électorales.
Toutes ces personnes (ou des proches dans le cas où les patients étaient trop malades ou même décédés) ont été interviewées longuement par un enquêteur professionnel, à domicile ou à l’hôpital, sur leurs environnements professionnel et personnel, leurs habitudes de vie, etc. Et des questions spécifiques de ce questionnaire concernaient l’utilisation de téléphone portable. Ma thèse, co-dirigée par le docteur Isabelle Baldi et le professeur Roger Salamon à l’ISPED que j’ai soutenue en décembre dernier, a consisté à faire la synthèse et l'analyse de ces données.
Quels profils d’utilisateurs de téléphone portable avez-vous étudiés ?
Nous avons défini des utilisateurs réguliers, comme ayant effectué au moins un appel par semaine avec un portable depuis les 6 derniers mois. Des infos étaient recueillies sur le modèle du téléphone, la durée du forfait, les appels passés et reçus… Et s’il y avait eu un changement (d’appareil, forfait…), un questionnaire était refait dans son intégralité. Toutes ces données m’ont permis de faire le profil de chaque individu et d’obtenir le nombre d’heures cumulées d’utilisation d’un téléphone portable et la moyenne du temps d’appel par mois. On a pu définir de grands utilisateurs de téléphone portable qui avaient passé plus de 900 heures en appel au cours de leur vie, ou plus de 15 heures par mois. Il s’agissait souvent de personnes qui l’utilisaient dans un cadre professionnel. Cela représentait 10% de cette population.
Quels sont les résultats de cette étude ?
Le premier résultat est de dire qu’il n’y a pas d’augmentation de risque d’apparition d’une tumeur cérébrale chez les utilisateurs réguliers de téléphone portable par rapport aux non-utilisateurs.
Deuxième chose, on a noté une augmentation du risque d’apparition de gliome chez les grands utilisateurs de téléphone portable.
Mais il faut aussi retenir qu’il s’agit de données datant de 2004 à 2006. Nos données ne reflètent pas la consommation actuelle. Depuis, elle a augmenté, et l’exposition aux radiofréquences des utilisateurs de téléphones mobiles a diminué dans le même temps, du fait de nouveaux appareils.
Donc si les conditions d’utilisation et les téléphones ont évolué, en quoi votre étude est intéressante en 2014 ?
Cette étude apporte des éléments en soutien d’autres études actuelles. L’objectif est évidemment de pouvoir répéter ce suivi au fur et à mesure du temps. Deux choses importantes sont à retenir. Tout d’abord, il faut relativiser et ne pas affoler les populations. Notre étude ne montre pas que téléphoner 30 minutes par jour aujourd’hui va entraîner l’apparition d’une tumeur cérébrale. Ces tumeurs restent rares (environ 8 cas de gliome pour 100 000 personnes).
Deuxième chose, il faut néanmoins continuer à prendre des précautions dans notre utilisation des téléphones portables, s’il subsiste encore des doutes. Les gens sont aujourd’hui sensibilisés au DAS (débit d’absorption spécifique, la quantité d’énergie des radiofréquences émises vers l’usager). Cette notion est désormais obligatoire sur les téléphones, tout comme le fait que des kits mains libres soient vendus avec les téléphones.
Notre étude apporte des résultats complémentaires qui doivent faire que les avancées technologiques aillent vers plus de précaution.
Est-ce que la surmédiatisation qui a suivie la sortie de votre publication vous a étonnée ?
On savait que c’était un sujet très médiatique. Surtout qu’il n’y a pas de consensus sur la question, et les données ne sont pas forcément récentes. Donc on se doutait que le résultat de l’étude serait repris, les associations de consommateurs font un travail de veille très actif. Mais peut-être pas aussi rapidement que cela l’a été et avec des demandes aussi pressées.
Il y a une chose qui a été interprétée et qui me gêne, c’est la notion d’utilisation moyenne des grands utilisateurs. Nous parlions de 15 heures par mois là où les médias ont évoqué 30 mn par jour. Cela peut évidemment faire peur à l’heure actuelle alors que nous avons pour la plupart des forfaits illimités. Mais il faut se replacer dans le contexte de 2004 et 2006. Tout le monde n’avait pas de portable et on avait des forfaits de 2 à 3 heures. Donc si on compare ce chiffre à celui de 15 heures, avec les téléphones de l’époque, c’était énorme.
(A titre de comparaison et d’après l’ARCEP, l’usage moyen en France en 2012 d’un téléphone portable était de 2,37 heures par mois par abonné, ndlr).