Un « book sprint » sur la recherche reproductible
Des chercheurs bordelais se sont lancés dans la rédaction d’un ouvrage en libre accès sur la recherche reproductible en un temps record de 3 jours et demi. Retours d’expérience avec deux d’entre eux sur la rédaction de ce livre à destination de la communauté scientifique.
- 05/07/2019
©Fotolia.com - Sergey Nivens
Pourquoi avoir participé à cet ouvrage ? Pouvez-vous présenter le contexte original de sa rédaction ?
Nicolas Rougier, chercheur en neurosciences cognitives computationnelles au centre de recherche Inria Bordeaux Sud-Ouest et à l’IMN* :
Ce livre est le résultat d'un book sprint organisé par l’Urfist** de Bordeaux du 15 au 19 avril 2019. Les organisateurs m’ont convaincu qu'il était possible d'écrire un livre sur les techniques de la recherche reproductible en l'espace de 3 jours et demi, avec 4 co-auteurs chercheurs que je ne connaissais pas et venant de disciplines différentes. Cela faisait beaucoup d'inconnues et j'avoue avoir été un temps sceptique mais le résultat est bien là. C'est une expérience à la fois étonnante et enrichissante et je ne peux que conseiller aux collègues de tenter l'aventure si l'occasion se présente à eux.
Boris Hejblum, enseignant-chercheur en biostatistique au centre de recherche BPH*** :
Cet ouvrage a été rédigé dans l'objectif de créer une ressource en langue française présentant les problématiques actuelles de la recherche reproductible de manière pédagogique. Comme Nicolas Rougier, j'étais curieux à propos du format book sprint, qui me semblait représenter un réel défi : peut-on réellement écrire un livre en moins de 4 jours ? Ce format a également l'avantage de contraindre l'écriture sur une période de temps bien délimitée. Enfin, ce livre a été rédigé de manière ouverte, ce qui nous a permis d'emblée de considérer le résultat non pas comme figé, mais au contraire destiné à évoluer dans le temps au grès des potentiels ajouts et modifications futures.
Pourriez-vous expliquer ce que l’on entend par recherche reproductible ?
N.R. : C'est une question difficile. Dans l'ouvrage, nous avons soigneusement évité de donner une définition précise tant les usages diffèrent d'un domaine scientifique à un autre. Cependant, et même sans avoir de définition précise, on est en mesure d'expliquer comment tendre vers une recherche reproductible et ce quel que soit le domaine. La raison principale est que si la numérisation/informatisation de la science a grandement facilité et accélérée celle-ci, ce n'est pas sans conséquences. Qui n'a jamais perdu un fichier important ? Qui n'a jamais fait d'erreur en reportant un résultat dans un tableur Excel ? Qui n'a jamais oublié une étape essentielle dans un protocole mal documenté ? Pour toutes ces questions, l'ouvrage donne des pistes et des conseils pour améliorer ses pratiques de recherche au quotidien.
B.H. : Nous avons d'ailleurs été vigilants à nous adresser à un public le plus large possible, en essayant d'inclure tous les domaines scientifiques et aussi bien les chercheurs académiques que les chercheurs en entreprise. Et s'il est difficile de donner une définition générale de la recherche reproductible - je vous encourage à lire notre chapitre 1 à ce sujet - nous avons voulu parler des problèmes et des méthodes à mettre en place pour les limiter dans le contexte plus large de la crise actuelle de la reproductibilité de la science. Les outils numériques sont aujourd'hui très présents dans tous les domaines scientifiques, et jouent évidemment un rôle important dans la recherche reproductible. Mais conscient que les chercheurs ont une utilisation différente de ces outils selon leur domaine, nous abordons également des solutions qui ne sont pas systématiquement numériques.
#booksprint challenge : les chapitres se remplissent, les auteurs s'échangent leurs textes : on checke les étapes avec les post its ; LDesquilbet, @borishej, ALegrand, PPernot, @NPRougier et EdeCastroGuerra :#Reproducibilityhttps://t.co/lFqXM3Vn91pic.twitter.com/NtnlYJkgyC
— Urfist de Bordeaux (@urfistbordeaux) 17 avril 2019
Comment souhaiteriez-vous que les chercheurs s'approprient cet ouvrage ?
B.H. : Que chaque chercheur puisse d'abord prendre conscience des risques potentiels auquel il est exposé dans son travail quotidien. Ensuite, pour chaque risque identifié, nous proposons un ensemble de méthodes plus ou moins techniques - et pas nécessairement informatique - permettant à chacun d'améliorer ses pratiques. Nous pouvons tous, à notre échelle, améliorer nos pratiques pour nous rapprocher d'une recherche reproductible. Notre ambition est d'abord de sensibiliser les chercheurs à ces aspects - et en priorité les jeunes chercheurs - même si l'ouvrage s'adresse à tous. L'objectif ici n'est pas de culpabiliser le chercheur de bonne foi, mais de lui montrer ce qu'il a à gagner dans sa pratique en adoptant des méthodes plus reproductibles, et en lui fournissant des solutions accessibles quel que soit son niveau technique. Enfin, nous invitons les chercheurs qui le souhaitent à contribuer à l’ouvrage, le cas échéant, via les outils ouverts utilisés pour sa rédaction.
N.R. : L'ouvrage a été rédigé comme un livre de recettes et il peut donc être lu dans le désordre le plus total. Je ne saurais trop conseiller de commencer quand même par la première partie qui rend compte de situations qui arrivent tous les jours dans les laboratoires. Nous avons évidemment un peu forcé le trait mais je crois que chacun sera susceptible de s'y reconnaitre un peu. Et moi le premier ! Ensuite, nous donnons un ensemble de conseils et d'explications qui vont des plus simples aux plus élaborés. L'idée est d'encourager à changer ses pratiques progressivement car il ne s'agit pas de chambouler la vie des laboratoires du jour au lendemain mais de tendre progressivement vers des techniques qui ont fait leur preuve et ce, au rythme de chacun. Et comme nous l'expliquons dans l'ouvrage, le premier bénéficiaire d'une recherche reproductible est le chercheur lui-même.
* IMNInstitut des maladies neurodégénératives
- Institut des maladies neurodégénératives (unité de recherche CNRSCentre national de la recherche scientifique
, CEA et université de Bordeaux)
** Urfist - Unité régionale de formation à l’information scientifique et technique
*** BPH - Bordeaux population health (InsermInstitut national de la santé et de la recherche médicale
et université de Bordeaux)
Vers une recherche reproductible : faire évoluer ses pratiques
Ce livre est issu d’un travail sous forme de book sprint, pratique encore peu répandue dans le monde académique français, avec un panel de 6 auteurs, dont 5 chercheurs, constitué spécifiquement pour ce challenge.
Il s’adresse à tout acteur de la recherche scientifique (chercheur, personnel de soutien à la recherche…) qui :
- se pose des questions sur la recherche reproductible ou
- souhaite améliorer ses pratiques.
Plusieurs rubriques illustrent les problématiques concrètes de la recherche reproductible. Chaque chapitre propose une gamme de solutions, allant de la plus facile à mettre en œuvre à la plus technique.
Ce book sprint a eu lieu 15 au 19 avril 2019 et a été coordonné par Sabrina Granger, conservatrice des bibliothèques à l’Urfist Bordeaux. Il a été animé par Elisa de Castro du centre de formation ActivDesign, qui a mené un travail de facilitatrice tout au long du processus d’écriture.
Référence bibliographique
« Vers une recherche reproductible : faire évoluer ses pratiques » par Loïc Desquilbet, Sabrina Granger, Boris Hejblum, Arnaud Legrand, Pascal Pernot, Nicolas Rougier. Urfist de Bordeaux, 2019
Contacts chercheurs
Boris Hejblum
Enseignant-chercheur en biostatistique au laboratoire BPH
Nicolas Rougier
Chercheur en neurosciences cognitives computationnelles à l’Inria