Une avancée pour les prothèses bioniques

Une équipe de scientifiques tente de décrypter les mouvements du corps humain pour rendre les prothèses robotisées du membre supérieur plus efficaces. Les recherches s’appuient sur un croisement novateur entre biomécanique, neurosciences, robotique et simulation.

  • 01/10/2015

Première tentative de contrôle haptique du bras robotique de Poppy avec la main Première tentative de contrôle haptique du bras robotique de Poppy avec la main

Une toute nouvelle équipe de l’Institut de neurosciences cognitives et intégratives d’Aquitaine (INCIA, CNRSCentre national de la recherche scientifique /université de Bordeaux) travaille sur l’amélioration des prothèses robotiques du membre supérieur. Malgré les récents progrès dans le domaine grâce à la DARPA (« Agence pour les projets de recherche avancée de défense » des Etats-Unis) et la démocratisation de l’impression 3D, les prothèses robotisées de bras ou d’avant-bras demeurent difficiles à contrôler par les amputés. Même après un long apprentissage, réaliser un mouvement avec son membre artificiel demeure laborieux et peu intuitif. L’équipe « contrôle sensorimoteur hybride » (HYBRID), à l’interface entre neurosciences, biomécanique et robotique, souhaite simplifier l’usage de ces prothèses en créant des algorithmes de contrôle spécifiques, en collaboration avec les équipes projet Flowers (robotique développementale) et Potioc (interfaces cerveau-machine) d’InriaInstitut national de recherche en informatique et en automatique .

Même les mouvements les plus simples nécessitent des années d’apprentissage au corps humain

Daniel Cattaert — Directeur de l’équipe Comportement, développement et réseaux neuronaux de l’INCIA

Imaginez-vous saisir votre tasse de thé posée quelques centimètres devant vous. Le mouvement réalisé, à peine conscient, est bien plus que le simple résultat d’une information transitant du cerveau jusqu’aux muscles. Il nécessite des corrections et des affinages en continu, impliquant une succession d’échanges entre nerfs, moelle osseuse et plusieurs parties des muscles. « Nous connaissons mal ces boucles d’informations. C’est pourquoi nous sommes encore incapables d’expliquer certains gestes du corps humain tellement ils dépendent de mécanismes différents » précise Aymar de Rugy, spécialiste du contrôle sensori-moteur chez l’homme, installé à Bordeaux depuis fin 2013 et en charge du projet. Ces effets sont également ignorés par les prothèses myoélectriques classiques, qui se basent sur la simple contraction indépendante de quelques muscles, les rendant difficilement utilisables…

Bien que les travaux aient commencé dès l’arrivée d’Aymar, HYBRID existera officiellement à partir de janvier 2016, après avoir été très bien reçu par le haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES).

L’équipe HYBRID, qui a obtenu en 2014 un soutien de l’IdEx Bordeaux dans le cadre du programme PEPS « Projets exploratoires premiers soutiens », cherche à caractériser ces boucles d’informations entre muscles, os et nerfs, afin de les traduire en algorithmes. Ces derniers pourraient alors être intégrés aux prothèses, leur permettant de simuler toute l’activité ignorée jusqu’alors, et être plus intuitives à utiliser.

Le projet s’appuie sur la plateforme robotique open-source Poppy, développée au sein de l’équipe Flowers d’Inria. Celle-ci leur fournit un bras du robot Poppy Humanoid, spécialement équipé d’une pince en guise de main. Cette collaboration pluridisciplinaire bordelaise permet de déployer un dispositif expérimental ingénieux : un cobaye tente de faire un mouvement avec son bras immobilisé dans une machine bardée de capteurs myoélectriques. Les informations reçues sont ensuite traitées par un algorithme puis renvoyées au bras robotique. Tout l’enjeu est d’affiner l’algorithme dans un logiciel de simulation des mouvements, grâce au machine learning, pour que le bras robotique reproduise à l’identique le mouvement voulu par le cobaye. C’est cet algorithme, appelé « schéma de contrôle », qui est susceptible de faciliter l’usage de prothèses.

Exploiter les messages d’erreur du cerveau, raccorder les nerfs sectionnés à d’autres muscles : de nouvelles pistes à explorer

Les scientifiques du projet ne sont pas en manque de pistes à explorer. Une collaboration est entamée avec l’équipe Potioc d’InriaInstitut national de recherche en informatique et en automatique , qui travaille sur les interfaces cerveau-ordinateur. Celle-ci pourrait affiner d’avantage les schémas de contrôle sensori-moteur, en exploitant les messages d’erreur envoyés par le cerveau suite au non-retour d’informations envoyées normalement par le membre sectionné. Enfin, les chercheurs de l’INCIA veulent aborder une autre piste, déjà pratiquée aux États-Unis : rendre opérationnels les nerfs sectionnés en les raccordant chirurgicalement aux muscles existants. En effet, il est très difficile d’exploiter les signaux électriques issus directement des nerfs. Une fois un nerf « dérivé » à un muscle de substitution, son signal est « amplifié » par le muscle et devient exploitable pour contrôler un nouvel élément de la prothèse. Cette technique permettrait donc d’avoir des prothèses bioniques plus faciles à contrôler tout en augmentant leur nombre de degrés de liberté, c’est-à-dire la panoplie des mouvements qu’elles peuvent réaliser.