[podcast] Bien dormir : préoccupation d’hier, défi d’aujourd’hui

Certains rêveraient de le prolonger, d’autres aimeraient s’en passer, beaucoup voudraient l’améliorer : le sommeil cristallise de nombreuses attentes, mais que sait-on vraiment de lui ? Le 15 mars dernier, les Rencards du Savoir proposaient de lever le voile - en partie - sur le quotidien de nos nuits.

  • 19/03/2021

© D. Sharon Pruitt © D. Sharon Pruitt

En 2017, 49,4 % des 18-75 ans interrogés* pour le Baromètre de Santé publique France déclaraient avoir eu des problèmes de sommeil au cours des 8 derniers jours. En février dernier, l’enquête CoviPrev révélait que ce taux, déjà élevé, avait grimpé à 61,3 % au début du premier confinement pour se maintenir depuis décembre au-dessus des 65 %. Dans un quotidien bouleversé, réussir à mieux dormir est devenu, plus que jamais, une priorité.
En écho à ce problème de santé publique, le café-débat des Rencards du Savoir du 15 mars proposait de croiser les regards de trois chercheurs : Violaine Giacomotto-Charra, professeur de littérature et d'histoire des savoirs à la Renaissance à l’université Bordeaux Montaigne, Stéphanie Bioulac-Rogier, praticien hospitalier, psychiatre pour enfants et adolescents au CHU de Bordeaux et membre du laboratoire Sanpsy (Sommeil - addiction - neuropsychiatrie ; CNRS et université de Bordeaux) et Jacques Taillard, ingénieur de recherche CNRS spécialiste des rythmes biologiques au laboratoire Sanpsy. Après une exploration détaillée des mécanismes complexes régissant notre sommeil, de nombreux conseils ont ponctué les échanges : certains liés à des tempéraments de sommeil spécifiques, d’autres plus généraux ; certains relativement récents, d’autres ayant traversé la nuit des temps...

Contre les cernes, Aristote gouverne

« La médecine ancienne est souvent mal connue, mais il existait bien une hygiène du sommeil, allant de l'idée que le froid endort et que la chaleur réveille à des conseils précis sur les positions dans lesquelles dormir, l'influence des états physiologiques, comme la mélancolie**, ou encore ce qu'il faudrait manger ou non avant de se coucher » souligne Violaine Giacomotto-Charra. Dans un commentaire d’un traité d’Aristote sur le sommeil réalisé par des Jésuites en 1593, se glisse ainsi, à côté de considérations philosophiques, une remarque sur... la laitue et ses propriétés sédatives !

Le Sommeil et son demi-frère la Mort est une peinture à l'huile sur toile réalisée par le peintre préraphaélite John William Waterhouse en 1874. Le tableau fait référence aux dieux grecs Hypnos (le Sommeil) et Thanatos (la Mort) qui, dans la mythologie grecque, étaient frères jumeaux. (sources : wikipedia)

Si les textes du philosophe grec sont restés longtemps des références sur le sujet, il ne pouvait prédire certaines problématiques propres à nos sociétés modernes. L’impact de la lumière artificielle est ainsi évoqué : l’exposition aux éclairages d’intérieur et aux écrans, même ceux tenant dans le creux de la main, devrait être réduite au moins deux heures avant le coucher.

Éteindre le radio-réveil, écouter l’horloge interne ?

Si les préconisations ne manquent pas, les intervenants soulignent toutefois que chaque être humain possède son rythme biologique et son tempérament de sommeil. Que les couche-tard et les longs dormeurs se rassurent alors : la société peut leur mener la vie dure mais c’est leur patrimoine génétique qu’il faudrait (en partie du moins) incriminer ; de surcroît, ils ne sont pas moins performants ou en moins bonne santé que les autres ! À condition, bien sûr, de respecter leur besoin de sommeil le plus souvent possible et d’adopter des comportements appropriés.

Si l’importance de se lever à une heure régulière est rappelée, Stéphanie Bioulac-Rogier comme Jacques Taillard insistent également sur la nécessité de compenser les nuits écourtées. « La dette de sommeil est cumulative. Pour la réduire, il ne faut pas hésiter à dormir plus longtemps le week-end d’une ou deux heures. Cette récupération sur les jours de repos améliorera la qualité de vie et aura un effet protecteur face aux maladies psychiatriques notamment, comme la dépression chez les adolescents et les jeunes adultes » explique Jacques Taillard.

Quand Morphée reste les bras croisés

Malgré de bonnes habitudes et une volonté de fer, le sommeil ne montre pas toujours le bout de son nez. Parfois même de façon répétée et prolongée : c'est l'insomnie chronique. « L’un des réflexes est alors de se mettre au lit plus tôt pour essayer de gagner du temps de sommeil. Au départ, c’est pourtant le contraire qu’il faut faire : se coucher seulement lorsque l’on est fatigué, quitte à réduire temporairement ses nuits, afin de réassocier mentalement le lit avec le sommeil » détaille Stéphanie Bioulac-Rogier. Contre-intuitif, et pourtant : cette thérapie comportementale fonctionne mieux que les somnifères et n’entraîne pas leur cortège d’effets secondaires !

De la bonne façon de « siester » à la possibilité de rattraper une nuit blanche, en passant par le travail de nuit et le sommeil polyphasique, les aspects abordés durant le café-débat faisaient écho à des préoccupations diverses et variées. Autant d’éléments à (ré)écouter en podcast pour se réconcilier avec une activité que trop mésestimée !

Par Yoann Frontout, journaliste scientifique et animateur des Rencards du savoir

*12 637 sujets (ayant entre 18 et 75 ans)

**En médecine antique, selon la théorie des humeurs, l’état de mélancolie était avant tout physiologique car il s’expliquait par un excès de bile noire, un liquide supposé être sécrété par la rate. L’expression « se faire de la bile », signifiant « se faire du souci », découle de cette conception aujourd’hui totalement abandonnée.

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Programmation grand public annuelle constituée de cafés et de cinés-débats en lien avec des sujets d’actualité, les Rencards du savoir permettent à la recherche bordelaise de sortir des laboratoires et des centres de recherche.

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