[podcast] Océans : observer au plus près une pollution invisible

La marée de déchets plastiques qui s’amoncellent sur nos plages est bien connue. La soupe de microplastiques donnant la nausée à nos océans, beaucoup moins. Le 3 février, les Rencards du Savoir s’intéressaient à celle-ci à travers un projet singulier porté par un navigateur et des scientifiques.

  • 28/02/2022

Fabrice Amedeo analyse des échantillons, qu'il a prélevés en mer, lors de sa visite sur le campus © Gautier Dufau/université de Bordeaux Fabrice Amedeo analyse des échantillons, qu'il a prélevés en mer, lors de sa visite sur le campus © Gautier Dufau/université de Bordeaux

Il y a moins d’un mois se tenait à Brest un nouveau sommet politique : le “One Ocean Summit”. Une quarantaine de chefs d’État étaient réunis au chevet de l’océan, non avares de promesses pour le requinquer. Parmi les maux à traiter d’urgence : une indigestion chronique aux plastiques. Pour espérer la résorber ou tout du moins l’atténuer, il est nécessaire de mieux la comprendre. C’est ce que s’efforce de faire une curieuse équipe, associant un navigateur à des chercheurs bordelais.

Le 3 février dernier, les Rencards du Savoir proposaient de découvrir leur projet tout en en apprenant plus sur la pollution aux microplastiques. À la Maison écocitoyenne de Bordeaux, le public a pu échanger ainsi avec Fabrice Amedeo, skipper de l’IMOCA Nexans Art et Fenêtre, Sophie Lecomte, directrice de recherche CNRS et directrice de linstitut CBMN (Chimie et biologie des membranes et nano-objets - CNRS, Bordeaux INP et université de Bordeaux), Jérôme Cachot, professeur à l'université de Bordeaux en écotoxicologie aquatique au laboratoire EPOC (Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux - CNRS, EPHE et université de Bordeaux) ainsi qu’Edgar Dusacre, doctorant en écotoxicologie et écologie marine au laboratoire EPOC et cofondateur de l'ONG 4P Shore & Seas.

Les microplastiques, partie immergée de l’iceberg

Exit l'idée d’un 7e continent fait de déchets flottants. La pollution plastique, en particulier au niveau des gyres océaniques, prend avant tout la forme d’une soupe de microplastiques. D’une taille comprise entre 1 micromètre et 5 millimètres, ce sont des fragments d’objets plus gros ou des particules sphériques destinées à l’industrie puis perdues en mer.

Si l’on conçoit aisément la détresse d’une tortue prise dans un sac plastique, on peine à se représenter l’impact de déchets quasi invisibles. Et pourtant… « Une baleine pourrait ingérer 300 000 de ces particules par jour via la seule filtration de l’eau » explique Edgar Dusacre. « Si nous ne connaissons pas encore les effets chez les grands prédateurs, il a notamment été démontré des problèmes cardiaques et de croissance chez des animaux plus petits comme le plancton » ajoute-t-il.

Le plastique est pourtant connu pour être un matériau inerte et très résistant. La preuve n’en est-il pas sa très lente dégradation ?  “Le problème ne vient pas des polymères plastiques en eux-même mais des additifs qui leur sont associés. La matrice plastique met en effet longtemps à se dégrader mais elle vieillit vite, libérant ces substances dans l’environnement ou le tube digestif des organismes » corrige Jérôme Cachot. De nombreux produits sont en effet ajoutés au plastique afin de le colorer, lui conférer rigidité, souplesse... Des molécules pouvant se révéler toxiques. Parmi elles, notamment, des cancérigènes et des perturbateurs endocriniens (à relire et réécouter : Perturbateurs endocriniens, n’en veux-tu pas, en voilà ! de la saison 2021 des Rencards du Savoir).

Aller vite, pour la victoire et pour la science

À bord de son voilier, Fabrice Amedeo collecte les sympathiques microparticules au moyen d’un capteur dédié. Ce sont 50 kilos de matériel en plus sur un bateau devant être le plus léger possible. C’est également une consommation d'énergie supplémentaire et des filtres à changer quotidiennement. Mais, avant tout, c’est une source de motivation. « J'avais envie de donner du sens à ma vie de marin, à mon parcours sur les océans » explique le navigateur.

De retour à terre, il transmet les tamis aux équipes de recherche bordelaises. L’intérêt d’une telle collecte pour les scientifiques est double : cartographier des zones peu accessibles pour les bateaux scientifiques et obtenir un instantané (ou presque) de la pollution plastique sur une grande partie du globe. Lors du prochain Vendée Globe, par exemple, Fabrice Amedeo devrait réaliser un presque « tour du monde en 80 jours ».

Les chercheurs analysent aujourd’hui les échantillons de la précédente édition. Objectif : estimer l’ampleur de la pollution et identifier la nature des polymères et des substances qu’ils charrient. Ils peuvent même en déduire certaines informations concernant les origines des particules et les filières incriminées.

Suite aux questions du public, les intervenants abordent également les pistes actuelles pour freiner la pollution plastique : élimination des déchets par des bactéries « plastiphages », recours à des plastiques biodégradables… sans oublier les actions pédagogiques ! Autant d’aspects, et bien plus encore, à (re)découvrir en podcast.

Les océans, un vide-dressing géant

Les premiers résultats sont déjà porteurs de nouvelles connaissances. Sophie Lecomte explique ainsi comment elle a découvert un autre visage de la pollution des océans : « pendant très longtemps nous ne nous intéressions pas aux fibres et elles n’étaient pas comptabilisées. Or, dans nos échantillons, elles se révèlent bien plus nombreuses que les particules plastiques ! » Des estimations qui corroborent d’autres études récentes et pointent du doigt nos textiles et nos lessives. « Ce sont des fibres de coton, de laine ou même des fibres synthétiques issues de vêtements en plastique recyclé. Quelle que soit leur nature, elles se révèlent porteuses d'additifs et captent des polluants » détaille la chercheuse.

Par Yoann Frontout, journaliste scientifique et animateur des Rencards du savoir

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Jeudi 3 février, le skipper visitait également les laboratoires du campus où est analysée une partie des échantillons qu’il collecte en mer.

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Café-débat organisé par le service culture de l'université de Bordeaux, dans le cadre de la semaine du cerveau et en partenariat avec Bordeaux Neurocampus le mardi 15 mars à la Station Ausone