[podcast] Opinion partout, esprit critique nulle part ?
Face aux fake news et propos mensongers, on débunke, on fact-checke, on vérifie. On en appelle, surtout, à l’esprit critique de chacun. Soupeser sa pensée, l’affûter : une affaire personnelle ? Loin d’être simple, la question était au centre du café-débat des Rencards du savoir du 2 novembre dernier.
- 23/11/2021
Exposition "Esprit critique : détrompez-vous !" présentée à Cap Sciences © AKANA
C’est l’histoire d’un renard dont le ventre crie famine et qui, chemin faisant, aperçoit des grappes de raisin bien mûres. Il se pourlèche les babines mais doit vite se rendre à l’évidence : impossible pour lui de les atteindre. Repartant bredouille, il se dit, en son for intérieur : « Qu’ai-je raté, si ce n’est des fruits trop verts pour être mangés ? »
Dans cette fable attribuée à l’écrivain grec Ésope, la considération toute relative du canidé pour la réalité prête à sourire. Gare pourtant au lecteur qui rirait trop franchement de son cousin quadrupède : c’est de son propre reflet qu’il se moque. À l’ère de la « post-vérité », où la conformité des discours à la réalité se fait optionnelle, l’être humain joue au renard… Aux dépens de ses congénères qui, dérivant entre infos et « infox », sont exhortés à faire preuve d’« esprit critique ». Une injonction aussi évidente qu’intrigante car, concrètement, que veut-on dire par là ?
Les Rencards du savoir proposaient d’investiguer la question, le 2 novembre dernier, lors d’un café-débat à Cap Sciences, à l’occasion de l’exposition « Esprit Critique, détrompez-vous ! » (aujourd’hui clôturée). Étaient invités Marion Bourbon, agrégée et docteure en philosophie, chercheuse associée à l’Université Bordeaux Montaigne, Marc Halpert directeur en ingénierie culturelle, marketing et communication à Cap Sciences et commissaire de l’exposition ainsi que Christopher Stevens, doctorant en philosophie et neurosciences au Neurocentre Magendie (Inserm et université de Bordeaux - Bordeaux Neurocampus). Premier constat : sur le chemin de la vérité, les obstacles sont multiples...
« Ce n’est pas moi, c’est mon cerveau ! »
La fable du Renard et des Raisins, Christopher Stevens l’apprécie particulièrement. « Elle illustre très bien le fait que nous avons tendance à réinterpréter tout ce qui ne nous convient pas afin de ne pas avoir à rejeter notre vision du monde » souligne-t-il. C’est souvent même l’interprétation initiale d’une nouvelle information qui va être biaisée, de par nos a priori, nos croyances, notre vécu... Si le renard trouve à nouveau de beaux raisins, il les considérera peut-être trop verts sans même s’en assurer. De la même façon, un épisode de gel à la fin du printemps ne sera qu’une énième réfutation du changement climatique pour un climato-sceptique.
Belle soirée d'échange autour de l’#EspritCritique, sa définition, ses frontières et ses différentes perceptions avec @WorldImagining@HalpertMarc et Marion Bourbon @univbordeaux@CultureUnivBx@UBMontaigne ! pic.twitter.com/xv7q3zmz3f
— Cap Sciences (@capsciences) November 2, 2021
Ce biais cognitif, dit biais de confirmation, Christopher Stevens l’étudie non pas chez l’homme mais chez la souris ! Dans l’histoire de l’évolution en effet, certains de ces biais semblent être présent depuis très longtemps. « Ce qui est nouveau chez l’être humain, c’est l’environnement dans lequel il met en marche les procédures cognitives : un environnement complexe, qu’il a peu à peu façonné, rempli de vérités et de faussetés et dans lequel il répond souvent de manière trop procédurale, habituelle car son cerveau n’a pas suivi cette évolution » explique-t-il.
Un cadre sain pour un esprit fin
Connaître les mécanismes et pièges de son cerveau serait-il suffisant pour développer une pensée critique ? Certainement pas. « Cela suppose un geste, une attitude de décentrement et donc de la curiosité et du courage. Questionner le réel, c’est être prêt à accepter qu’il ne corresponde pas à ce que je souhaiterais qu’il soit » insiste Marion Bourbon. Or cette prise de risque ne peut se faire sans des conditions adéquates. « On met aujourd’hui en devoir les citoyens de faire preuve d’esprit critique en omettant leur situation sociale, les contextes historiques et politiques dans lesquels ils évoluent, comme s’il s’agissait uniquement d’être à même de se débrouiller avec son cerveau... » déplore Marc Halpert. Il pointe également du doigt la tendance à individualiser la charge de l’esprit critique. Seul, un individu « n’a pas les capacités intellectuelles pour résister au flux d’informations qui lui est projeté chaque jour en pleine figure » appuie-t-il.
« Il faut offrir aux citoyens les conditions pour penser le réel » renchérit Marion Bourbon, soulignant le peu d’espace accordé à la discussion et à la délibération collective. « Cette dernière est le fondement de la démocratie. Sans elle, on en reste à l’opinion qui est tout le contraire de la pensée critique. » Les intervenants en viennent à échanger autour de ce qui se révèle être la clef de voûte de l’esprit critique : l’éducation. Quelle place pour le doute dans l’apprentissage ? Quelle posture du pédagogue ? Et quelle culture commune aujourd’hui ? Autant de questions et réflexions, teintées d’étonnements mais empruntes d’espoirs, ainsi que des conseils plus directs, à découvrir dans le podcast et… à cogiter !
Les Rencards du savoir

Programmation grand public annuelle constituée de cafés et de cinés-débats en lien avec des sujets d’actualité, les Rencards du savoir permettent à la recherche bordelaise de sortir des laboratoires et des centres de recherche.
(ré)écoutez tous les Rencards du savoir
Retrouvez les podcasts des Rencards du savoir (saison 1 & 2) sur la chaîne Soundcloud et sur toutes les plateformes de streaming habituelles (Deezer, Spotify, Apple podcast...).
Prochain Rencard du savoir : "Sciences participatives : toutes et tous apprenti(e)s chercheur(e)s ?"

Café-débat organisé par le service culture de l’université de Bordeaux.