Sphinx de Gizeh en Égypte © Alexman89 / Pixabay

Il est là, en plein milieu de notre figure. Pourtant, même lorsqu’il se fait cap ou péninsule, nous ne le voyions pas. Est-ce la raison pour laquelle ses facultés sont méconnues ? Son rôle minimisé ? Car le nez de l’être humain a la réputation d’être un museau bien faiblard. Quant aux œnologues et parfumeurs, ils disposeraient de capacités surhumaines… À l’occasion de l’exposition « La Fabrique des Innovations » au Musée d’ethnographie de Bordeaux, le 20 janvier 2022, un café-débat des Rencards du savoir revenait sur ces a priori. Il réunissait pour en parler Dominique Paquet, dramaturge et docteure en philosophie ayant travaillé sur le théâtre olfactif, Félicie Codron, parfumeur et olfactothérapeute ainsi que Guillaume Ferreira, neurobiologiste s’intéressant aux liens entre mémoire et nutrition au sein du laboratoire Nutrition et neurobiologie intégrative (NutriNeuro - Inrae, Bordeaux INP et université de Bordeaux - Bordeaux Neurocampus).

Un nez qui en vaut bien d’autres !

“L’être humain est considéré comme un microsmate, un animal qui a un odorat peu développé, en comparaison des nombreuses autres espèces dites macrosmates » évoque tout d’abord Guillaume Ferreira. Une assertion qu’il juge vraie et fausse dans le même temps. Malgré la petitesse de ses aires olfactives, l’être humain est en effet capable de sentir des milliers d’odeurs différentes. Quant à la mémoire olfactive, intimement liée aux émotions, elle est certainement celle qui perdure le plus.

Malgré ses performances olfactives et cérébrales, l’être humain peut se sentir bien démuni devant le vaste univers odorifère qui l’entoure. Qui a déjà joué au loto des odeurs en a dû faire l’expérience ! Quant à décrire un arôme plaisant, cela tient du casse-tête… Le chercheur en est certain : « c’est avant tout un problème d’éducation olfactive. » Et ceci n'est pas que perceptif ! « Pour décrire et distinguer des variations de plus en plus subtiles, il faut des noms, des adjectifs, une sémantique » explique-t-il.

Sentir, ressentir, décrire

« Il y a une mythologie sur l'impossibilité de parler des odeurs. C'est un lieu commun qui a traversé l'histoire » regrette Dominique Paquet. À qui la faute ? Le dédain exprimé par de nombreux philosophes et psychanalystes pour l’olfaction n’y est pas étranger. D’Aristote à Freud en passant par Kant, ils sont légion !

Dominique Paquet tempère toutefois une vision qui serait trop réductrice : quelques noms font figure d’exception. Elle cite des philosophes comme Étienne Souriau, qui a fait entrer la parfumerie parmi les arts, ou encore l’écrivain Joris-Karl Huysmans. Ce dernier a donné dans À Rebours des clefs pour parvenir à mettre des mots sur les fragrances et effluves. « C’est en combinant le lieu de l'émanation, la description du souvenir et la précision lexicale que l’on parvient à transmettre l’odeur » résume la philosophe. Pas besoin de termes savants : « les mots les plus concrets, du quotidien » suffisent.

À la recherche de l’odorat perdu

Parvenir à mettre des mots sur les senteurs est une étape clef de la rééducation olfactive. Félicie Codron le sait bien, elle qui travaille notamment avec des personnes ayant perdu l’odorat. Si la crise sanitaire a mis en lumière l’anosmie, elle n’est pas nouvelle : « avant celle-ci, 5 % de la population était déjà touchée » rappelle-t-elle. Parmi les causes, des traumas physiques ou psychologiques ainsi que des maladies neurodégénératives. « Pour ces dernières, nous savons aujourd’hui que l’un des premiers symptômes est justement la perte de l’odorat et, avec celui-ci, de la flaveur » précise Félicie Codron. La flaveur ? Ce sont toutes ces sensations que procure un aliment en bouche. Car oui, si une fraise a « du goût », c’est grâce à notre système olfactif et non pas nos papilles gustatives !

Après des conseils pour recouvrir l'odorat ou le conserver en vieillissant, ses nombreuses vertus sont abordées. N’y aurait-il qu’un pas entre les concoctions du parfumeur-médecin d’antan et les parfums thérapeutiques d’aujourd’hui ? Notre nez peut-il être un allié pour bien manger ? Et que proposent les associations d’éveil olfactif comme le Nez en Herbe ? Autant de questions qu’abordent les intervenants avec joie, sans qu’il n’y ait besoin de leur tirer les vers du nez ! Des échanges à (re)découvrir en podcast.

Par Yoann Frontout, journaliste scientifique et animateur des Rencards du savoir