Que sera l’université en 2036 ?
Décloisonné, connecté, collaboratif, transdisciplinaire,… A l’université de Bordeaux, les équipes pédagogiques dévoilent leur vision de l’enseignement supérieur dans 20 ans.
- 13/10/2016
2036. L’université a fait sa mue. Un groupe d’étudiants, installés dans des canapés, suit un cours virtuel qui a lieu sur un autre campus. Branchés sur leur portable, ils peuvent poser des questions en direct à l’enseignant et partager des documents avec leurs camarades. Tous ont construit leur parcours de formation sur mesure, en fonction de leurs centres d’intérêt et de leur projet professionnel.
Au cours de leur vie ils reviendront deux ou trois fois à l’université pour se former à un nouveau métier. Utopique ? Cette vision est le fruit d’un travail collaboratif entre étudiants, enseignants et société civile, lancé par le Learning lab de l’université catholique de Louvain (Belgique) en 2015. Plus d’une centaine de propositions en tout sont sorties de cette boite à idées de l’université de demain et viennent questionner le présent.
Repenser le rôle de l’université
Même s’il est toujours délicat de s’aventurer à faire de la futurologie, un changement de culture est déjà l’œuvre dans les universités françaises depuis quelques années. A Bordeaux, l’université a créé la Mission d’appui à la pédagogie et à l’innovation (MAPI), structure originale en France lors de sa création en 2014, pour accompagner les équipes pédagogiques dans cette période de grands changements nécessaires.
« L’objectif est de mettre à profit les expériences de chacun, d’aider au développement de l’innovation pédagogique et d’instaurer des communautés de pratiques », détaille Marthe-Aline Jutand, directrice de la MAPI de 2014 à août 2016. « Nous voulons aussi alléger la logique descendante et laisser les équipes se saisir des innovations», ajoute Achille Braquelaire, vice-président en charge de la formation. Parmi les premiers projets accompagnés : le MOOCInnov +, lauréat en 2015 des Idefi numériques.
« Les universités sont confrontées à plusieurs enjeux majeurs, résume Claude Dupuy, professeur en sciences économiques et chercheur au Gretha à l’origine du projet. D’abord la mobilité : demain les étudiants et les apprenants doivent pouvoir se former sur n’importe quel support mobile et la distance physique avec l’institution ne doit plus être un obstacle. Ensuite il y a un enjeu de certification des connaissances. L’université a un rôle à jouer sur la diffusion des savoirs et leur fiabilité. Il nous faut aussi développer une pédagogie de la collaboration et de l’ouverture au monde. Et enfin, il y a des enjeux technologiques. Nous sommes dans une période de fort développement des Learning analytics, ces outils qui permettent d’évaluer et d’optimiser les processus d’apprentissage et sur lesquels la France a du retard. »
Demain les étudiants et les apprenants doivent pouvoir se former sur n’importe quel support mobile et la distance physique avec l’institution ne doit plus être un obstacle.
C’est dans cette perspective que Claude Dupuy a développé en 2014 le premier MOOC de l’université consacré à l’économie de l’innovation et imaginé par la suite le dispositif MOOCInnov +, conjointement avec Bordeaux INP. Le projet prévoit notamment le développement d’un écosystème d’applications mobiles, le University Lab (U Lab), que tout étudiant aura sur son Smartphone. Il comprendra une application de gestion de projets avec des outils de brainstorming, de planning et de carte mentale collaboratifs, des solutions de web-conférence, un moteur de recherche de tutoriels certifiés, des MOOC, etc.
En somme, une nouvelle expérience de l’université. « Nous travaillons en logiciel libre, de sorte que n’importe quelle université pourra utiliser cet écosystème d’applications et l’adapter en fonction de ses besoins », poursuit Claude Dupuy. Toujours dans le numérique, Christophe Roiné, nouveau directeur de la MAPI a pour projet de développer un espace collaboratif de prise de notes. « Une étudiante en thèse en sciences de l’éducation travaille actuellement sur le sujet, dévoile Christophe Roiné. Les premiers résultats dessinent un lien fort entre le type de prise de notes de l’étudiant et ses résultats aux examens. La prise de notes interactive permettrait aux étudiants de mieux s’approprier l’objet et à l’enseignant d’avoir un meilleur suivi. »
Le chercheur met cependant en garde contre l’obsession du tout numérique : « Le numérique n’est pas pédagogique en soi. Il faut se méfier des solutions toutes prêtes et génériques. Par exemple, les MOOC ne sont pas la panacée pour toutes les formations. Les innovations pédagogiques ont du sens quand elles sont à l’initiative des équipes qui cherchent à répondre à des problèmes particuliers. »
Libérer la créativité des étudiants
La créativité, l’autonomie et le travail collaboratif, les employeurs n’ont plus que ces mots à la bouche quand ils recrutent de jeunes diplômés. « C’est un enjeu de taille pour l’université qui doit non seulement former ses étudiants à ces soft skills (compétences humaines), mais aussi les certifier », pointe Claude Dupuy. Dans le cadre du projet MOOC Innov +, des journées de la créativité seront proposées aux 150 étudiants en troisième année de licence éco-gestion, encadrés par des designers et des artistes. « Nous allons former les étudiants au design thinking (1), détaille le chercheur.
L’objectif est de les inciter à développer des projets, en les accompagnant sur la réalisation de vidéos, l’écriture d’un pitch… Ils auront tous les outils pour participer à des concours d’entreprises ou se lancer dans de la recherche de fonds. Ce type de proposition répond à une demande des étudiants, qui sont de plus en plus autonomes. On réfléchit même à un serious game de créativité et à la création d’une boite à outils que les diplômés pourraient importer dans leur entreprise. » A terme, les journées de la créativité devraient s’ouvrir aux étudiants de master et aux formations scientifiques.
Mettre l’accent sur la transdisciplinarité
Autre cheval de bataille : la transdisciplinarité. « Nous aurons toujours besoin de spécialistes de très haut niveau, mais je crois qu’il est vital de croiser les regards des disciplines sur de grands thèmes transversaux comme le vieillissement ou le big data par exemple, analyse Achille Braquelaire. Nous le faisons déjà à l’Institut des sciences de la vigne et du vin qui mêle des équipes d’œnologie, chimie, biologie, économie, droit… Ou encore en environnement ou en sciences et techniques des activités physiques et sportives. Les croisements aboutissent souvent à des formations remarquables qui sont pointées comme des pépites. » Un Institut de la transdisciplinarité, transverses aux périmètres de la recherche et de la formation, est en cours de création et le Collège Sciences de l’Homme lance à la rentrée 2016-2017 le module « SHS pour tous », un enseignement à distance ouvert à toutes les filières.
Au programme : un bouquet de 5 unités d’enseignement thématiques sur les risques, les discriminations, les âges de la vie, l’éducation et la santé qui croisent les regards de l’anthropologie, la sociologie, les sciences de l’éducation, la psychologie et les STAPS. « Un des objectifs est de permettre aux étudiants de mieux s’orienter, détaille Sandrine Rui, directrice du Collège science de l’Homme, à l’origine du projet. Nous souhaitons aussi consolider la place des sciences humaines et sociales (SHS) dans les formations, la recherche et la société. Par-delà les compétences qu’elles permettent d’acquérir, ces disciplines participent de la construction de la personnalité et de la citoyenneté, tous métiers et formations confondus. Nous vivons dans une société plus réflexive, qui s’interroge en permanence sur elle-même, sur le sens des actions individuelles et collectives. Faire l’économie des SHS c’est prendre le risque de se retrouver dans des impasses sociales. A terme, d’autres cours pourront être construite avec d’autres disciplines en sciences humaines et sociales au sein de l’université de Bordeaux ou avec des partenaires.»
En parallèle de ces changements sur les approches pédagogiques, Marthe-Aline Jutand pointe la nécessité de repenser l’organisation physique des universités. « Les nouveaux espaces qui se créent, comme le Rolex Learning Center de l’EPFL (2) à Lausanne, mêlent espaces formels et informels d’apprentissage. Demain on pourra apprendre, lire, travailler en mode collaboratif, mais aussi manger et se détendre dans un même espace. La relation enseignants/apprenants n’en sera que facilitée. Nous vivons une période de grands changements. Mais l’université ne doit pas y perdre son âme : développer et cultiver le citoyen. »
La créativité, l’autonomie et le travail collaboratif, les employeurs n’ont plus que ces mots à la bouche quand ils recrutent de jeunes diplômés.
(1) approche de l'innovation et de son management qui se veut une synthèse entre la pensée analytique et la pensée intuitive
(2) Lieu d'apprentissage, d'information et de vie de l'École polytechnique fédérale de Lausanne en Suisse