Sophie Chave-Dartoen ou la passion du Pacifique

Enseignante et chercheuse en ethnologie et anthropologie sociale et culturelle, directrice du musée d’ethnographie de l’université de Bordeaux, Sophie Chave-Dartoen est l’une des rares ethnologues spécialistes de la Polynésie en France, la seule à Bordeaux. Portrait d’une océaniste passionnée.

  • 16/03/2021

Sophie Chave Dartoen © Arthur Pequin Sophie Chave Dartoen © Arthur Pequin

L’océan Pacifique, ses lagons turquoises, ses plages de sable blanc, ses volcans verdoyants, ses colliers de fleurs… mais pas seulement. Derrière ces images de cartes postales, l’Océanie, continent aux mille iles, renferme d’innombrables richesses. C’est tout d’abord par le biais de l’art que Sophie Chave-Dartoen découvre cette région du monde, puis c’est à la connaissance des sociétés locales et surtout à l’étude de leurs rites que l’ethnologue-anthropologue va consacrer le reste de sa vie d’enseignante et de chercheuse.

L’Océanie, une découverte

Sophie Chave-Dartoen grandit au sein une famille d’artistes et de collectionneurs dans le sud-est de la France. Naturellement, la jeune fille s’intéresse au dessin et après son bac étudie l’histoire de l’art et l’archéologie à la Sorbonne, ainsi que la muséologie. « Mon grand-père était collectionneur d’art brut ; mon père, d’art populaire et médiéval. Influencée par les récits de découvertes des écrivains voyageurs tels que Victor Segalen, Herman Melville ou Robert Louis Stevenson, j’ai quant à moi, choisi de me spécialiser dans l’art océanien dans lequel je trouve une poésie absolue et un exotisme total » raconte-t-elle.

Sophie Chave-Dartoen s’engage alors à l’École du Louvre, dans huit années d’apprentissage et de recherches consacrées en partie à la notion de patrimoine culturel dans le Pacifique. Une invitation au voyage qu’elle concrétise par l’organisation d’un « grand tour » qui va durer une année. D’Hawaii à la Nouvelle-Zélande, en passant par la Polynésie, l’Australie, la Calédonie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Fidji, les Marquises et autres Tonga, elle sillonne le territoire, découvre, observe, étudie les populations locales, leurs cultures et leurs rites tout en travaillant parallèlement dans les musées. « Je suis finalement rentrée frustrée avec le sentiment d’avoir travaillé en surface » se souvient Sophie Chave-Dartoen.

Wallis, un véritable coup de cœur

Cette expérience lui a cependant ouvert une autre porte, celle de l’anthropologie. Elle boucle son mémoire de l’École du Louvre et se lance dans un doctorat d’anthropologie sociale et culturelle à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Des années riches de rencontres, dont son futur mari, originaire de l’Île de Wallis, territoire polynésien d’une centaine de kilomètres carrés situé entre la Nouvelle-Calédonie et Tahiti, devenu son terrain ethnographique.

En 1992, la jeune chercheuse s’y installe seule pour 18 mois ; en immersion totale, accueillie comme une belle sœur dans une maisonnée. « J’ai été adoptée par tous les membres de la famille, ils m’ont socialisée. En partageant totalement  la vie de cette unité sociale, j’ai pu comprendre de l’intérieur ce qui anime la vie locale : l’organisation du système rituel, les circulations cérémonielles et les responsabilités que cela implique » explique-t-elle. Sujet auquel elle consacrera une longue thèse soutenue en 2000, après avoir passé des années à dépouiller tous ses entretiens…

Mariée en Calédonie et après quelques années passées à Saumur et en Allemagne, l’anthropologue  pose ses valises et celles de sa famille à Bordeaux en 2003 après qu’elle ait obtenu un poste de maître de conférences à Bordeaux. Un poste had hoc puisque il s’agissait également de diriger l’actuel musée d’ethnographie de l’université.

Le musée d’ethnographie de Bordeaux, un projet scientifique et culturel

En effet, grâce à des dons d’anciens élèves de l’École principale de santé de la Marine qui avaient suivi les cours de la faculté de médecine de Bordeaux, et qui, en poste dans les colonies souhaitaient éclairer leurs cadets sur les mœurs et les us et coutumes de populations encore mal connues, l’université de Bordeaux a accumulé fin XIXe - début XXe siècle, un grand nombre d’objets d’un intérêt historique et scientifique incontestable.

Forte de ses compétences, Sophie Chave-Dartoen propose alors un projet scientifique et culturel pour la conservation et l’exposition des fameuses collections. « J’ai défendu l’idée d’un centre de culture scientifique avec des expositions temporaires thématiques » explique-t-elle. « Nous avons également beaucoup travaillé sur le programme et sur l’architecture du lieu ». En 2011, le musée d’ethnographie de l’université de Bordeaux (MEB), seul établissement universitaire de ce type, ouvre ses portes avec « Jonques », une exposition inaugurale consacrée aux maquettes de jonques, ensemble patrimonial exceptionnel.

Depuis, de nombreuses expositions ont eu lieu, toujours conçues selon elle en croisant les perspectives disciplinaires à partir de faits sociaux généraux, mais saisis dans leurs spécificités historiques et culturelles. « Ce musée est un véritable centre de ressources ouvert à tous les publics » déclare sa directrice, soucieuse de faire partager les résultats de la recherche avec le plus grand nombre.

Soucieuse également de transmettre son savoir, Sophie Chave-Dartoen enseigne avec conviction à des étudiants curieux. Enfin, elle poursuit ses recherches sur les idéologies sémiotiques et les théories locales de l’action au sein du laboratoire Passages (unité de recherche CNRSCentre national de la recherche scientifique , université de Bordeaux, université Bordeaux Montaigne, université de Pau et des pays de l’Adour et Ensap Bordeaux).