© Gautier Dufau | GD Photos Bordeaux

Puissante. Comme une vague, comme une tempête, comme une onde.

Puissante. Comme la collaboration scientifique et artistique entre Nadia Sénéchal, océanographe et Aline Pénitot, compositrice, créatrices de " Puissantes ", fiction sonore inspirée de la mesure physique des vagues présentée dans le cadre du festival arts et sciences organisé par l’université de Bordeaux*. 

Nadia Sénéchal travaille à l’interface entre l’océan et le littoral. Elle étudie la morpho dynamique côtière depuis 20 ans. Enseignante et chercheuse à l’université de Bordeaux, elle connait le littoral aquitain sur le bout des doigts. Elle arpente sans relâche les plages sableuses de l’entrée du Bassin d’Arcachon à la frontière des Landes, de préférence en hiver lorsque souffle la tempête afin d’effectuer des relevés topographiques. L’évolution du trait de côte et du cordon dunaire n’a aucun secret pour elle. Spécialiste de la propagation des vagues en zone de surf et de leur impact sur le littoral, elle mesure les paramètres des vagues: énergie, hauteur, longueur, fréquence, puissance…et leur impact sur le balancement de la ligne d’eau, scientifiquement appelé le jet de rive.

Aline Pénitot est artiste, compositrice de musique concrète, électro acousticienne et documentariste sonore. Arrière-arrière petite-fille de corsaire normand, elle est aussi navigatrice, exploratrice et fût journaliste. Aujourd’hui, à travers ses créations, elle cherche à déceler la musicalité des sons de la nature. En l’occurrence celle de la mer. De la puissance des vagues. En cherchant de l’inspiration, elle découvre la thèse de Nadia « Etude de la propagation des vagues au-dessus d’une bathymétrie complexe en zone de surf ». C’est une révélation…

Ainsi est née "Puissantes", fiction sonore basée sur les mesures des sons produits par les vagues en période de tempête. Les premiers matériaux ont été présentés dans le cadre du festival FACTS à Bordeaux en novembre 2019. 
Véritable expédition « arts-sciences » entremêlant récits scientifiques et émotions musicales, Puissantes explore les résonances entre le travail de ces deux femmes inspiré respectivement par l’océan, la mer et les vagues, le flux et le reflux, par la mécanique des ondes, cette énergie qui se propage et interagit avec son milieu… De sorte que, à travers une aventure vécue ensemble, la connaissance scientifique abreuve l’émotion esthétique et réciproquement. 

Les vagues, la musique, quels liens avec votre métier ?

Nadia Sénéchal

J’ai toujours eu un pied dans l’eau mais n’aime pas être sous l’eau… Je préfère le parachute au surf ! Je voulais être pilote d’hélicoptère dans la sécurité civile. J’ai finalement choisi l’océanographie et me suis spécialisée dans l’étude des vagues lors de mon doctorat. Une vague est une onde. Ce sont les ondes longues, dite infragravitaires que j’étudie plus spécifiquement. Ce sont celles-ci qui peuvent surprendre le baigneur qui croyait avoir posé sa serviette au sec et la retrouve mouillée…. L’énergie libérée par ces ondes met en mouvement la zone littorale. Je sais ce que la vague est capable de faire. Ces forces sont colossales et fascinantes. J’aime observer ces phénomènes.
C’est la même chose pour les ondes acoustiques. La mécanique des ondes est très similaire, qu’il s’agisse d’une vague ou d’un son.
D’ailleurs, le vocabulaire musical s’applique à celui que j’emploi pour décrire mes travaux. Je le connais bien car j’ai fait le conservatoire et 9 ans de piano et 5 ans de saxophone. Par exemple, on dit que les vagues forment des harmoniques et des sub-harmoniques.

Dans mes cours je fais toujours des analogies avec la musique. La musique est très importante pour moi. J’écoute des heures durant de la soul, du blues ou de la bossa nova et beaucoup d’autres choses… Mais je ne ressens pas le besoin de jouer. La musique est un support de mes émotions, pas un moyen de les exprimer.

J’aime le paradoxe de la mer, à la fois nourricière et meurtrière. Cette dualité me fascine. L’océan est l’expression de ce que la nature peut offrir de plus grandiose. Nadia Sénéchal.

Aline Pénitot

Je suis navigatrice, autrice de radio, compositrice et journaliste. Je raboute entre eux les sons et les histoires. J’ai traversé deux fois l’Atlantique et le pôle nord magnétique à la voile. Mon métier d’artiste est pleinement en lien avec l’océan. En mer « tout est un » et fonctionne ensemble. Au large, le temps est décomposé par rapport à ce qu’on vit à terre, tout est relié au vent et au courant. En travaillant sur la houle et les vagues, je retrouve ces sensations et mes émotions.
Je ne peux pas faire autrement qu’exister en tant qu’artiste, j’ai pourtant fais des études de sciences politiques… Petite, j’écoutais les bruits de la maison, de la nature, des arbres… Après un long moment passé en classe de composition électroaccoustique, je fabrique des sons avec des objets, avec les sons de la nature: la mer, le sable dans un verre… je décortique les vagues, les ondes…Ces éléments sonores sont enregistrés et travaillé par l’ordinateur. Je ne suis pas dans l’écrit, je compose directement dans les logiciels et je déploie des haut-parleurs dans les lieux de diffusions pour créer des espaces sonores.

Dans quelles mesures cette collaboration "arts et sciences" vous a-t-elle séduite ?

Nadia Sénéchal

J’ai été séduite par l’opportunité de découvrir le monde artistique et surtout de mieux comprendre comment l’artiste conçoit son œuvre. Comment va-t-elle s’inspirer de mon travail ? Que lui évoquent mes graphiques ? Pour moi, c’est un mystère ! Mon côté rationnel a besoin d’explications ! Car à la grande différence d’Aline, je rationalise tout. Une démarche scientifique suit un protocole précis et nécessite de la rigueur. S’il y a un défaut, cela ne touche pas mon émotion mais ma démarche. Contrairement aux artistes, nous devons tout justifier et nous devons pouvoir reproduire.
Les scientifiques suivent un protocole de recherche, les artistes sont dans un processus de création. La différence ? L’émotion, la sensibilité…

Aline Pénitot

J’aime la démarche "arts et sciences" car elle démultiplie tout. J’avais déjà en tête de faire un travail sur la puissance des vagues et le rapport des femmes aux vagues. En lisant la thèse de Nadia, un monde s’est ouvert à moi, j’ai vu de la musique à chaque graphique, de rapport entre la mécanique des fluides et la musique. Cela pourrait même avoir une déclinaison chorégraphique.  C’est une question d’ondes, de rapport entre la mécanique des fluides et acoustique.
Pour moi, le travail de Nadia essentiel et créatif. Tout comme les artistes, les chercheurs sont des créatifs, ils produisent parfois à leur insu, une grande poétique.

*EPOC: Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux