Faites vos jeux !
À Bordeaux, des juristes universitaires scrutent de près une partie mouvementée : celle qui redessinera le cadre juridique des jeux d'argent et de hasard. Dans la roulette institutionnelle de l'état et de l'Union européenne, les mises sont de taille.
- 06/05/2019
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Quel est le point commun entre la Coupe du monde de football, un hippodrome et le bar-tabac du coin de la rue ? Un indice : la chance entre en jeu. Durant la Coupe, on peut faire ses pronostics depuis son canapé ; à l’hippodrome, on mise sur cheval et jockey dans le hall des paris ; quant au bar-tabac, on y trouve très souvent jeux à gratter et tickets de loto. Toutes ces marottes sont des jeux de hasard et d’argent, dont l’article 2 de la loi n° 2010-476 donne la définition suivante : « est un jeu de hasard un jeu payant où le hasard prédomine sur l'habileté et les combinaisons de l'intelligence pour l'obtention du gain ». Une définition à l’apparente limpidité, et pourtant… Au poker, par exemple, la chance prévaut-elle réellement sur l’expérience ? La question est épineuse, et celledu cadre juridique de ces pratiques l’est tout autant.
Tout miser sur un seul numéro
Sébastien Martin, enseignant-chercheur en droit public au Centre de recherche et de documentation européennes et internationales de l’université de Bordeaux (CRDEI) évoque ainsi une première loi surprenante : « en France, il existe un principe général d’interdiction des jeux de hasard. » Si l’on peut jouer, c’est qu’il y a des exceptions. Depuis 1836, c’est en effet sur un principe de prohibition que s’est développée la pratique des jeux d’argent en France. L’État délivre des autorisations à des opérateurs contrôlés par des organes de régulation spécifiques. Les casinos sont encadrés par le ministère de l’Intérieur, la Française des jeux (FDJ) par le ministère de l’Économie et des finances et le PMU, par le ministère de l’Agriculture ! À ces acteurs s’ajoute, depuis 2010, l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL). Un peu complexe ? C’est également l’avis du juriste, qui souligne l’importance de simplifier le panorama.
Avec l’intérêt que portent aujourd’hui les députés à la possibilité d’une autorité de régulation unique et la privatisation annoncée d’un des principaux acteurs – la FDJ – la régulation des jeux d’argent est promise à une mue certaine. Devant l’importance des enjeux, la création d’une chaire portée par la fondation Bordeaux Université s’est naturellement imposée.
Une chaire permet de regrouper, autour de chercheurs, des partenaires publics comme privés qui vont principalement jouer le rôle de mécène. Trois juristes de l’université de Bordeaux en droit public, Aude Rouyère, professeur membre de l’Institut Léon Duguit, Jean-Baptiste Vila, maître de conférences et membre du même institut, ainsi que Sébastien Martin assurent ici la direction scientifique de la chaire Régulation des jeux d'argent et de hasard. Ils se sont entourés de l’ARJEL (et de six opérateurs issus d’horizons différents.
« Il n’y a, à ma connaissance, pas de projet équivalent en Europe et on ambitionne de placer l’université de Bordeaux en première ligne sur cette thématique ».
Jean-Baptiste Vila
Lancée le 6 avril 2018, la chaire en est aux prémices et les juristes explorent toutes les possibilités en matière de régulation. Mais qu’est-ce, au final, que réguler ?
Une mue non prédictive ?
Jean-Baptiste Vila distingue le terme d’un faux ami. « La régulation n’est pas simplement une question de réglementation. » Impossible en effet d’omettre l’économie, surtout quand le secteur concerné pèse 45,6 milliards d’euros. « L’idée de régulation suggère de trouver un équilibre entre deux impératifs, explique quant à lui Sébastien Martin. Il s’agit à la fois de permettre le développement économique des opérateurs privés, via la concurrence, et de limiter le plus possible les externalités négatives de ce secteur. » Par externalités négatives, entendre problèmes d’addictions, blanchiment d’argent, financement du terrorisme… « Dans les pays anglo-saxons, on part du principe que l’État assure la lutte contre ces phénomènes induits, alors qu’en France il y a parfois une déresponsabilisation de l’État » affirme Jean-Baptiste Vila. Nos services d’addiction au jeu sont par exemple financés par les opérateurs, mais peuvent-ils être à la fois juge et partie ? Pour le juriste, il est par ailleurs évident, que face aux réseaux criminels ou terroristes, une régulation à l’échelle nationale n’a pas d’impact. Doit-on dès lors viser une régulation européenne ?
Les questions abondent, sans compter que si l’Union européenne était assez souple avec les droits nationaux en matière de jeux, le vent pourrait tourner… La chaire a trois ans pour apporter de la clarté dans ce flou juridico-économique. À savoir, après, quel joueur saura le mieux tirer son épingle du jeu.
La Chaire Régulation des jeux
La chaire "Régulation des jeux" réunit des enseignants-chercheurs de l'université de Bordeaux et les principaux acteurs du secteur pour réfléchir à de nouvelles pistes de régulation et répondre aux enjeux sociétaux actuels. Elle consacre son premier colloque à la notion de jeu(x) d'argent, le mercredi 15 mai 2019 à l'université.
Le Mag U
U est disponible en consultation dans les bibliothèques universitaires de Bordeaux, dans les lieux de vie de l'université ainsi que dans les médiathèques de la Gironde. Il est également disponible sur abonnement gratuit.